gardait le silence et tenait fixé sur moi ce regard profondément observateur et singulier, perspicace, horriblement gênant.
Puis il me dit aussi de l’aller voir, m’assurant que mon nom serait parmi les privilégiés ou amis pour pénétrer à toute heure. Mais je ne suis point retourné chez lui. Quelque chose que je ne puis expliquer m’y manquait. Combien je lui préfère aussi, les abords simples et si confiants du doux Chintreuil…
- (Juin 1868.)
La grande originalité de Millet consiste dans le bonheur qu’il eût de développer deux facultés rarement réunies chez le même homme et en apparence contradictoires : il fut peintre et penseur. J’entends peintre proprement dit à la manière des Espagnols, des Hollandais et de quelques artistes français contemporains ; de tous ceux, en un mot, qui sentent la nature directe et la rendent pleinement sensible aux autres par la palette, par le ton. Cette sensualité exquise est un don rare qui procure à l’observateur des phénomènes du dehors des jouissances infinies, mais qui, aussi, a le danger d’entraîner dans la contemplation pure et d’absorber, d’effacer pleinement l’être pensant qui s’y livrerait sans mesure. La prédominance de cette faculté fait le peintre. Velasquez, par exemple, en est la plus haute manifestation. C’est lui qui, par une habileté extrême, j’allais dire par virtuosité, s’est le plus complètement soumis à la reproduction immédiate de l’objet lui-même ; il semble avoir fait de l’artiste un être passif et irresponsable qui laisse à la nature le soin de parler. Il en est de même des Hollandais chez qui le désir de la reproduction simple a produit des ouvriers incomparables, dont les travaux sont des modèles du genre. Il en est de même aussi de quelques peintres contempo-