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confuse souvenance de choses antérieures à mes jours mêmes, l’écho de douces joies, de bienheureux enchantements. Et cela contrastait avec l’état habituel de ma mentalité, alors si morose et mélancolique. Sur le même cahier où je recueille les propos de mon vieil ami Bresdin, et que je notais en cachette, comme je lui cachais aussi les miens, je trouve ces lignes écrites d’une écriture maladive, et que je vous donne comme les prémisses de mes noirs, de mes ombres — et que je n’écrirais plus aujourd’hui non plus : « J’ai passé par les allées froides et silencieuses du cimetière et près des tombes désertes. Et j’ai connu le calme d’esprit. Ô mort que tu es large : dans le calme que ta pensée me donne, que de force contre le souci ! »

Je n’en veux pas transcrire davantage : simple indice d’un état d’esprit qui a dû se placer souvent sous mes crayons. Mais le temps, le temps où nous déroulons sans cesse nos accomplissements, m’a donné, comme à tout être humain, lumière plus vive. Et ces premiers ennuis, ressentis bien au delà de ma jeunesse même, ont dû se dissiper dans un accord plus juste entre mes forces et les désirs. En m’objectivant sans cesse, j’ai su depuis, avec les yeux ouverts plus grandement sur toutes choses, que la vie que nous déployons peut révéler aussi de la joie. Si l’art d’un artiste est le chant de sa vie, mélodie grave ou triste, j’ai dû donner la note gaie dans la couleur ; je le dirai une autre fois.

En arrêtant ici cet écrit, je le donne comme une sorte d’introduction à mon catalogue. Les éditeurs Artz & De Bois, de la Haye, pour la publication complète des reproductions de mes travaux graphiques, me donnent en ce moment une satisfaction profonde. C’est un ensemble de pièces diversement venues, où plusieurs sont un germe, un essai premier dont la sève seconde a fleuri dans un dessin qui n’est pas là, — et fleuri plus heureusement peut-être : un dessin sorti, par nécessité, de l’atelier avant la transcription sur pierre. Il en est ainsi à peu près 500 qui errent et vont par le monde, selon leurs destinées. Je les recommande à ceux qui