affinées, élégantes, douces et souples d’aristocratie. Des mains artistes. Elles révélaient bien, comme toute sa personne d’ailleurs, l’être à part et de destination fatale, l’être prédestiné que doivent faire souffrir sourdement, douloureusement, les heurts journaliers de la vie ordinaire contre celle de sa dilection. L’artiste, cet accident, cet être que rien n’attend dans le monde social, sauf l’amour et l’admiration de quelques êtres, au hasard des affinités, l’artiste est bien condamné, quand il naît sans fortune, à subir toutes les duretés du désenchantement. Mais Bresdin, par un don naturel d’enjouement et d’allégresse, portait hautement les blessures du sort : ses dehors, à qui savait voir, exprimaient la bonté.
C’était un homme de moyenne taille, trapu et puissant, les bras courts. La figure aux yeux clairs et fins. Un front placide et haut qu’aucune ride ne rayait.
Il jardinait volontiers et avec la minutie d’un Chinois. Subtil en tout et méticuleux, il apportait là sa finesse, sa délicatesse, ses curiosités d’analyse et d’observation. C’était alors, plus qu’à tout autre moment, qu’il avait l’esprit alerte et qu’il s’épanchait en jets de paroles subits et saisissants qui me laissaient pensif. Il me dit une fois, sur un ton d’autorité douce : « Voyez ce tuyau de cheminée, que vous dit-il ? Il me raconte à moi une légende. Si vous avez la force de le bien observer et de le comprendre, imaginez le sujet le plus étrange, le plus bizarre, s’il est basé et s’il reste dans les limites de ce simple pan de mur, votre rêve sera vivant. L’art est là. » Bresdin me tenait ce propos en 1864. J’en note la date parce que ce n’est pas ainsi que l’on enseignait en ce moment-là.
Je me déclare heureux aujourd’hui d’avoir entendu jeune, d’un artiste très original et entier que j’aimais et admirais, ces paroles peu subversives que je comprenais si bien, et qui confirmaient ce que je pressentais moi-même. Elles donnent, sous une forme apparemment bien simple, les préliminaires du haut enseignement. Elles ouvrent la vue du peintre sur les deux mondes