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En tous cas, cette appréciation contrôle et spécifie quelques-uns de mes travaux. Il se peut qu’à mi-route de la réalisation, un aide subit de ma mémoire m’ait quelquefois contraint à un arrêt de certains ouvrages pour le résultat dit ici, les trouvant formulés et organisés à ma guise : fleurs venues au confluent de deux rivages, celui de la représentation, celui du souvenir. C’est la terre de l’art même, la bonne terre du réel, hersée et labourée par l’esprit.

J’ai bien des fois, par exercice et pour ma nourriture, peiné devant l’objet jusqu’aux menus accidents de son apparence visuelle ; mais la journée me laissait triste, dans un inassouvissement. Et je laissais le lendemain couler l’autre source, celle de l’imagination par le rappel des formes, et j’étais alors rassuré et apaisé.

La critique d’art n’est pas créatrice.

On peut la tolérer chez des êtres pensifs, sensibles, capables de s’objectiver particulièrement ; des êtres doués d’une allégresse communicative et ardente qui reflétera, par amour et admiration, quelque chose de la beauté qu’ils aiment : flamme jaillie du foyer divin qui gagne en étendue et suscite d’autres flammes.

Mais le commentaire, le commentaire pur, n’a d’excuse que s’il refond les principes sans cesse, toujours nouvellement, à chaque frisson d’un art nouveau. Il doit proclamer les découvertes.



Une enquête sur la vie des peintres? Et pourquoi? Croirait-on trouver là des révélations qui leur apporteraient la justice ! A quoi bon.

L’artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est mystérieux. Il est un accident. Rien ne l’attend dans le monde social. Il naît tout nu sur la paille sans qu’une mère ait préparé ses langes. Dès qu’il donne, jeune ou vieux, la fleur rare de l’origi-