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tenant un compas, n’est-il pas l’image de la certitude ? Voici l’amour aussi qui inscrit sur une tablette un accroissement de la connaissance. Vinci a dit : « Plus on connaît, plus on aime. »

Ce commentaire met un arrêt aux suggestives hypothèses et à tout verdict d’incohérence. Et je me souviens, en souriant, que j’ai fait autrefois, ainsi que Durer, un ange des certitudes : il sourit, vieillot, dans un rai de lumière que domine un ciel noir, où j’ai mis un regard interrogateur. J’étais moins conscient que Durer.

Cette admirable Mélancolie reste ce qu’elle fut toujours pour moi : une source riche, profonde et toujours nouvelle de belles lignes abstraites, profondes, révélatrices d’amplitude, de vastitude. Je ne connais pas de cadre plus plein, et dont la structure et les plans aient autant de portes sur l’esprit. Lignes serrées, riches de variétés soumises au jeu si grave de l’ensemble. Sans me complaire dans l’audition de la musique de Bach, je suppose ici analogie.

Depuis mon âge mûr, j’ai toujours eu cette sorte de fugue linéaire sous les yeux.



1908. — Le peintre qui a trouvé sa technique ne m’intéresse pas. Il se lève chaque matin sans passion, et, tranquille et paisible, il poursuit le labeur commencé la veille. Je lui soupçonne un certain ennui propre à l’ouvrier vertueux qui continue sa tâche, sans l’éclair imprévu de la minute heureuse. Il n’a pas le tourment sacré dont la source est dans l’inconscient et l’inconnu ; il n’attend rien de ce qui sera. J’aime ce qui ne fut jamais. Le souci doit être l’hôte habituel et constant du bon atelier.

Le souci est comme une équation entre la palette et le rêve. Il est le ferment du nouveau ; il renouvelle la faculté créatrice ; il est le