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Un jeune et naïf Anglais me vint trouver une fois et me dire qu’il avait traversé la mer pour me voir, et connaître de moi-même la genèse de mes travaux. « Nous en connaissons les effets, me dit-il, je voudrais être éclairé sur sa cause. » Et j’ai su, depuis, par un ami qui le vit à Londres, qu’il était revenu fort déconcerté de son voyage, parce que je ne lui avais répondu que par un sourire. « Je n’ai pu rien savoir de M. Redon », avoua-t-il.

La vérité est qu’on ne peut rien dire de soi, quant à ce qui naît sous la main, à l’heure soucieuse ou passionnée de la gestation. C’est bien souvent surprise ; on a dépassé son but, voilà tout. Que dire de plus ! A quoi bon l’analyse de ce phénomène, ce serait vain. Il est mieux de le renouveler pour sa propre joie.

Laissons le reste aux philosophes, aux savants.



Un paysage de vieil or, une douceur prenante, une paix grave, le silence, des feuilles accumulées sous les pas…

O mélancolique parfum des feuilles mortes qui dans les jardins, en automne, évoque le souvenir de la vie éteinte… triste et funèbre charme, sous qui la mort semblerait douce, mêlée à tout ce qui s’en va et nous dit adieu…



Décembre. — Le talent est, après tout, le pouvoir acquis de faire fructifier des dons naturels ; les notions de l’expérience nous y aident, l’amour des Maîtres aussi, mais j’entends ceux que nous aimons, et non pas ceux que nous choisissons. Certains artistes de mon temps, que j’ai vu débuter avec promesse, se sont perdus pour avoir choisi les Maîtres qu’ils devaient aimer. Leur intelligence les a perdus dans la recherche du bien et du mal ; ils ont touché au fruit défendu.

Il faut aimer naturellement, indolemment, pour la joie, pour