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à partir de la promulgation de la présente loi ; ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de président de la République et dans les conditions actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles.

Article 2

Dans les trois jours qui suivront la promul-

7020, 7035, 7066 et 7080). —Adoption le 19 (S. off. du 20, p. 7067).

V. la loi du 31 août 1871,

portant que te chef du pouvoir exécutifprendra le titre de Président de la République (S. Lois annotées de 1871, p. 104. —P. Lois, décrets, etc., 1871, p. 179). (2) Dans la séance du 5 nov. 1873, une proposition de loi ainsi conçue a été déposée par M. le général Changarnier et un grand nombre de ses collègues : « Le pouvoir exécutifest confié pour dix ans au maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi.

» Ce pouvoir continuera à être exercé dans les conditions actuelles jusqu’aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles. a Une commission de trente membres sera nommée sans délai en séance publique et au scrutin de liste pour l’examen des lois constitutionnelles. » Soumise à l’examen d’une commission spéciale, cette proposition a reçu des modifications importantes. Le projet présenté à la sanction de l’Assemblée était ainsi conçu :

a Art. 1er. Les pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon, Président de la République, lui sont continués pour une période de cinq ans au delà du jour de la réunion de la prochaine législature.

« Art. 2. Ces pouvoirs s’exerceront dans les conditions actuelles jusqu’au vote des lois constitutionnelles. et Art. 3. La disposition énoncée en l’article 1er prendra place dans les lois organiques et n’aura le caractère constitutionnel qu’après le vote de ces lois. « Art. 4. Dans les trois jours qui suivront la promulgation de la présente loi, une commission de trente membres sera nommée dans les bureaux pour l’examen des lois constitutionnelles présentées à l’Assembléenationale les 19 et 20 mai 1873. »

Les différences entre le projet de la commission et la proposition primitive ont provoqué l’intervention du Gouvernement. Dans un message lu à l’Assemblée, le 17 nov., avant l’ouverture de la discussion générale du projet de loi, M. le Président de la Républiques’exprimait en ces termes :

_

« Messieurs, au moment où va s’ouvrir la discussion sur la prorogation de mes pouvoirs,je crois qu’il est de mon devoir d’indiquer les garanties sans lesquelles il serait imprudent, selon moi, d’accepter la tâche redoutable de gouverner un grand pays.

«.

.

. La France, dont les voeux demandent pour le Gouvernement de la stabilité et de la force, ne comprendrait pas une résolution qui assignerait au Président de la Républiqueun pouvoir dont la durée et le caractère seraient soumis, dès son débat, à des réserves et à des conditions suspensives....Renvoyer aux lois constitutionnelles, soit le point de départ de la prorogation, soit les effets définitifs du vote de l’Assemblée, ce serait dire à l’avance que dans quelques jours on remettra en question ce qui sera décidé aujourd’hui. a Je dois désirer plus que tout autre que les lois constitutionnellesnécessaires pour déterminer les conditions d’exercice des pouvoirs publics soient discutées prochainement,et l’Assembléevoudra certainement exécuter sans retard la résolution qu’elle a déjà prise sur ce point ; mais subordonoer la proposition qui est en discussion au vote des lois constitutionnelles,ne serait-ce pas rendre incertain le pouvoir que vous voulez créer et diminuer son autorité ? Si je n’avais consulté que mes goûts, je n’auraispas parlé de la durée de mes pouvoirs. Toutefois, je cède au désir qu’un grand nombre de membres de l’Assembléeont manifestéde connaître mon opinion à ce sujet. Je comprends la pensée de ceux qui pour favoriser l’essor des grandes affaires, ont proposé de fixer la prorogation à dix ans ; mais après y avoir bien réfléchi, j’ai cru que le délai de sept ans répondrait suffisamment aux exigences de l’intérêt général et serait plus en rapport avec les forces que je puis consacrer encore au pays

»

Après «me snspensionet une reprise de la séance, la discussion a été renvoyée au lendemain sur le désir exprimé par M. le Rapporteur, au nom de la commission, d’entendre les explications des ministres. —

L’accord

n’ayant pas pu s’établir sur l’art. 3 du projet, la commission a maintenu les conclusionsde son rapport. à la suite de la discussion générale et après le rejet des amendementsde MM. Eschasseriàux etTurquet, qui proposaientde faire un appel au pays et de se fixer sur la forme du Gouvernement avant de passer à la discussion des lois constitutionnelles, la minorité de la commission a présenté un contre-projet qui, appuyé par le Gouvernement, est devenu, sauf une légère modification dans l’art. 2, la loi actuelle.

L’une des questions préjudicielles les plus importantes que soulevait cette loi était celle de savoir si l’Assemblée pouvait légalement prolonger au delà de sa propre existenceles pouvoirs du chef de l’Etat. Voici ce que contenait le Rapport à cet égard : « On a fait remarquer que, dans l’organisation actuelle, le Président de la République n’est que le délégué de l’Assemblée ; on s’est demandé si le mandataire pouvait conserver sou pouvoir quand le mandant n’existe plus. —Ce n’est pas la première fois, a-t-on dit, que l’Assemblée est appelée à examiner cette question ; elle l’a résolue dans le sens opposé à la proposition qu’on nous présente aujourd’hui. Le Rapport de M. Vitet sur la loi du 31 août 1871 niait formellement que l’Assemblée pût engager un avenir qui ne lui appartenait pas. Cette opinion, soutenue par des membres considérables de la droite et du centre droit, a triomphédevant la Chambre. La loi du 31 août a prolongé les pouvoirs de M. Thiers jusqu’à la fin des travaux de l’Assemblée ; on a refusé d’aller plus loin. Comment donc nous propose-t-on de faire en 1873 ce qu’on regardait comme inconstitutionnel en 1871 1 — Il a été répondu qu’on ne pouvait assimiler au mandat civil la délégation d’un pouvoir politique ; que le précédent de 1871, si considérablequ’il fût, ne pouvait lier l’Assemblée, et qu’en remonlant plus haut dans notre histoire on trouverait plus d’uu précédent en sens contraire. Comment interdire à une Assemblée de régler au moins l’ouverture de sa succession et de prendre des précautions pour l’avenir ? « Sur cette première question, la commission, à la majorité de 13 voix contre 2, n’a point hésité à reconnaître le droit de l’Assemblée. Mais il faut avouer que cette décision recule la difficulté et ne la résout pas. —

En effet, le point essentiel n’est pas de savoir si légalement l’Assemblée peut nommer un chef du pouvoir exécutif destiné à lui survivre. Il n’y a évidemment rien d’illégal à fixer pour un temps plus ou moins long la durée d’une magistrature quelconque. La question est de savoir quel est le caractère, quelle est la valeur de celte délégation. Est-ce une simple loi qui peut être abrogée par une loi contraire ? Est-ce une disposition constitutionnelle qui lie les Assemblées qui viendront après nous ? Là est le noeud de la difficulté. Si nous faisons une simple loi, elle n’aura d’autre force que celle que nos succeseurs voudront bien lui laisser. D’un autre côté, peut-on considérerla prorogation des pouvoirs d’un Président comme un acte constituant ? »

Celle thèse, qui reconnaît à l’Assemblée le droit de conférer un pouvoir destiné à lui survivre, a été vivement combattue par M. Iules Grèvy.

« Avez-vous le droit de conférer pour sept ans un pouvoir, soit provisoire, soit même définitif ? — Provisoire, personne n’a osé soutenir qu’il pût être délégué au delà de votre propre exislence. Vous avez vous-mêmes décidé le contraire.

Vous n’avez qu’un pouvoir

occasionnel,un pouvoir de circonstance, —

je parle du

pouvoir d’administration que vous exercez par voie de délégation,

un pouvoir attaché à votre existence, qui, par sa nature, doit mourir avec vous. Comment pourrait-il vous survivre dans nn mandataire ? Comment pourriez-vousconférerà un autre ce que vous n’avez pas vous-mêmes ? — On m’a fait une objection qui n’est vraiment pas sérieuse. On m’a dit : Ne confondez pas avec le mandat civil le mandat politique. Et pourquoi pas ? En quoi consiste la différence ? Je parle de l’essence et de la nature du mandat en général ; je ne parle pas plus du mandat civil que du mandat politiqueou de tout autre.

Indiquez-moi,je vous prie, une nature de mandat quelconque dans laquelle le mandataire a plus de pouvoir que le mandant... Un contrat de mandat, dans lequel le mandataire survive au mandant avec le pouvoir qu’il en a reçu. Il n’est pas nécessaire d’être jurisconsulte, il suffit d’être un homme de bon sens pour répondre que rien de pareil ne peut exister. » Quant au caractère du pouvoir confié par l’Assemblée au Président de la République, le rapport contenait les explications suivantes : " .

S’il y avait eu des lois consti-

tutionnelles, l’entente eût été facile ; nous n’aurionsdifféré que sur la durée plus ou moins longue de la prorogation.

En l’absence de ces lois, nous sommes restés séparés par une différence fondamentale. La minorité, poussée par le désir d’établir sans délai une autorité qui dominât tous les partis, a jugé qu’on pouvait dès aujourd’hui prolonger les pouvoirs du chef de l’Etat, en laissant à l’avenir le soin de les définir et de les organiser. La majorité, au contraire, n’a pas cru qu’il fût possible de prolonger sans condition un pouvoir dont rien ne règle l’étendue.

Elle a pensé qu’en de-

hors des garanties constitutionnelles, l’autorité, quelle que soit la modérationde celui qui l’exerce, n’est qu’une dictature plus ou moins déguisée. Ce n’est point là le régime qui peut convenir à la France. Ce que la France demande depuis deux ans, c’est un gouvernement régulier qui lui donne enfin la possession d’elle-même et une entière sécurité...

« Il n’y a pas de milieu. Ou nous aurons une constitution, et le pouvoir du Président sera solidement établi ; ou nous n’aurons pas de constitution, et la France sera encore une fois exposée à tous les hasards des discordes civiles et des révolutions. —

C’est celte

vue des choses qui explique pourquoi la majorité de la commission tient par-dessus tout à ne pas séparer l’organisation du pouvoir exécutif de celle du pouvoir législatif, qui ne peuvent exister l’un sans l’autre. Dans cette question de connexité, c’est l’existence même du gouvernement constitutionnel qui est en jeu. »

Combattue par M. Depeyre, et M. de Broglie, viceprésident du conseil, celte Lhèse n’a pas été admise par l’Assemblée. Aucun doute ne saurait subsister à cet égard surtout après le rejet de l’amendement proposé par M. Waddington. L’honorable député avait repris, à titre d’amendement, l’art. 3 du projet de la commission et proposait d’en faire un article qui prendrait le n° 2 et serait ainsi conçu :

« Art. 2 . La disposition énoncée en l’art. 1er prendra place dans les lois organiques et n’aura le caractère constitutionnelqu’après le vote de ces lois. » M. Waddington. « Nous désirons, messieurs, que le pouvoir de M. le maréchal de Mac-Mahon soit fondé sur les bases les plus larges possibles. —

Il y a quinze

jours, messieurs, il était possible de le fonder sur une majorité composée de 500, 550 et peut-être 600 voix, et il serait peut-être encore possible, à l’heure qu’il est, d’obtenir la même majorité, mais à une seule condition, celle de lier la prorogation des pouvoirs du maréchal au vote des lois constitutionnelles. Dans ces conditions, vous aurez encore aujourd’hui 500 voix pour soutenir cette proposition.

Je viens vous déclarer, messieurs,

au nom d’un groupe considérable de cette Assemblée, que, si vous voulez accepter l’article 3 que nous vous proposons, nous vous apporterons un renfort de 150 voix pour la prorogation des pouvoirs du maréchal. Nous vous déclarons également que si l’art. 3 n’est pas voté, nous serons forcés, à notre très-grand regret, de rejeter le projet tout entier. »

L’amendement de M. Waddington a été repoussé par 386 voix contre 321. (Séance du 19 nov., I. off. du 20, p. 7085).

Un autre point d’une imporlance pratique considérable a été examinépar le rapport. Quelle sanctionserait attachée à la nouvelle loi ? Le gouvernementqu’elle établissait devait-il rosier sans défense exposé aux attaques des partis ? Voici comment le rapport répond à ces questions :

« Pour fortifierle pouvoirexécutif et assurerle repos du pays, un membre de la minorité a proposé qu’on remît en vigueur les lois qui interdisent d’attaquer le Gouvernement établi. Il lui a paru dangereux et menaçant qu’on pût continuer d’agiter le pays par des prétentions et des démonstrations qui sont une perpétuelle excitation au mépris des lois.

Nous n’avons pas pensé

qu’il fût à propos de mettre une loi pénale dans une loi constitutionnelle ; mais nous croyons qu’un désavantages de l’accord que nous vous proposons, c’est d’installer enfin un gouvernementdéfini, auquel chacundevra obéissance, et dont il ne sera pas permis de préparer publiquement la ruine. Qu’on discute

en théorie les mérites

comparatifs de la monarchie et de la République, c’est chose innocente ; mais il ne peut pas être permis de conspirer contre les institutions établies, fussent-elles