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employait à peine la charrue : jamais on ne fit un tel abus des forces brutes de l’homme. L’industrie s’en tenait aux plus vieilles routines. La canne, qui peut donner 17 p. 0/0 de sucre par des systèmes déjà mis à l’épreuve, donne, à l’heure qu’il est, 5 ou 6 p. 0/0 tout au plus. Il y avait donc une énorme déperdition de forces ; il y avait une perte énorme de produits ; et, nous ne craignons pas de l’affirmer, le travail dùt-il compter moins de bras, la production pourrait s’élever encore par le meilleur emploi de ceux qui resteront, le perfectionnement des instruments et la réforme des méthodes.

Si la liberté n’était pas le droit même de la naissance, on pourrait donc dire que les esclaves de nos colonies sont mûrs pour l’affranchissement. Grâce aux bons instincts que la nature conserve jusque dans l’esclavage ; grâce aux influences que répandent, au sein même de cette atmosphère épaissie, ces lueurs de la liberté où ils aspirent, les nègres ont, dès à présent, fait preuve de qualités qui laissent bien augurer de l’avenir : un désintéressement qu’on n’aurait certes point le droit de demander à des êtres placés en dehors du droit commun ; des habitudes d’ordre, de calcul, de prévoyance, auxquelles un délégué de la Guadeloupe s’empressait de rendre hommage ; et, parmi les nouveaux affranchis, une régularité de conduite, une observance des moindres mesures de police, qui étonne les magistrats. Déjà beaucoup ont un pécule ; tous ont le goût de la propriété. On peut, on doit donc espérer qu’ils voudront grossir leurs épargnes en se louant, ou les employer en achetant de la terre ; et quelques-uns ont montré assez d’intelligence pour être désormais capables de gérer à leur propre compte d’assez grandes exploitations^ La commission appelle ce résultat de tous ses vœux : ce sera justice que des hommes, traités si longtemps, à la honte de la civilisation, en dehors delà loi commune, s’élèvent ainsi dans la hiérarchie du travail et arrivent à le diriger. C’est une émancipation qui doit compléter l’autre. En vous présentant, citoyen ministre, l’acte d’abolition immé • diate de l’esclavage, la commission n’a donc point seulement le calme qui accompagne l’accomplissement d’un grand devoir, quelles qu’en soient les conséquences ; elle a pleine sécurité dans l’avenir ; elle ne croit pas seulementau droit, elle croit au succès,