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N’eût pas offert la honte en offrant son bienfait,
Coupables de pitié pour des français fidèles
Vous n’auriez pas voulu, devant des lois cruelles,
Nier un si noble forfait !

C’en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte
A retenti l’arrêt dicté par la fureur.
Dans un muet murmure, étouffé par la crainte,
Le peuple, qui l’écoute, exhale son horreur.
Regagnez des cachots les sinistres demeures,
O vierges ! encor quelques heures…
Ah ! priez sans effroi : votre ame est sans remord.
Coupez ces longues chevelures,
Où la main d’une mère enlaçait des fleurs pures,
Sans voir qu’elle y mêlait les pavots de la mort !

Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête :
Les Anges vous rendront ces symboles touchans ;
Votre hymne de trépas sera l’hymne de fête
Que les vierges du ciel rediront dans leurs chants.
Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d’innocence,
Charlotte au cœur d’airain, qui vous vengea d’avance,[1]
Élisabeth, cet ange de nos bords,
Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines
Le sang glacé des morts circulant dans ses veines,
Et Cazotte, enviant le prix de ses efforts.[2]

Ici, par de nouveaux prodiges
Les spectres effrayaient mes yeux épouvantés :
Ils balançaient sur moi parmi d’affreux prestiges
De longs linceuls ensanglantés.

  1. L’année précédente Charlotte Cordai avait tué Marat, l’un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à faire adopter la loi contre ceux qui secouraient des émigrés.
  2. M.lle Cazotte ne put parvenir à sauver son père, bonheur qu’acheta M.lle de Sombreuil en buvant un verre de sang. Long-temps après encore on l’a vue pâlir et tressaillir au seul souvenir de cet horrible et héroïque effort, qui détruisit sa santé, et la laissa pour sa vie sujette à de douloureuses convulsions.