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la baleine, une divinité.

la morale et à la vertu, le baleineau ; il veut que l’on respecte la décence et les bonnes mœurs, il évite les parages hantés par des hordes lâches et dissolues, n’admet pas que les baleiniers, qui ont l’honneur de lui courir sus, se commettent avec des femmes pendant la saison de chasse ; même il les punirait par un châtiment terrible, si leurs épouses trahissaient en leur absence la foi conjugale ; il les ferait périr par une mort cruelle, si leurs sœurs manquaient à la chasteté avant le mariage[1]. Qu’un coup de vent fasse échouer une baleine, ils la reçoivent avec des honneurs divins, ne peuvent trop la remercier de sa complaisance, se congratulent d’avoir été admis au privilège de manger cette chair sacrée. Ils s’avancent au son du tambourin, haranguent la divinité, la flattent et la complimentent, exécutent en son honneur des danses solennelles : les profanes vêtus de leurs plus beaux costumes, et les baleiniers et sorciers tout nus, sauf qu’ils ont la figure masquée, comme aux grandes cérémonies. Ils jouent en spectacle la réception faite à la souveraine des Eaux par les animaux terrestres[2]. Après ces témoignages de respect et ces préliminaires de convenance, le tambour roule pour la dernière fois ; hommes, femmes, enfants et chiens se jettent sur l’énorme viande, l’attaquent des dents et du couteau, se gorgent à bouche que veux-tu ; –un morceau de 60,000 kilogrammes ! — ils piquent, trouent, forent, creusent jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans l’intérieur ; ils se feront jour à travers les côtes. Jamais Pantagruel ni Grandgousier ne furent à plus belle fête. C’est la gloutonnerie héroïque. Avant un long temps, avant que la chair mûrie et faisandée ait tout à fût passé

  1. Venjaminof.
  2. Dall.