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perception des couleurs.

Grande-Bretagne, jugea à propos de s’y rallier. On y voyait une preuve de la supériorité de nos civilisés sur nos ancêtres intellectuels, les Grecs et les Romains, et à plus forte raison sur tous les sauvages. On ne réfléchissait pas assez que des Tatars qui perçoivent les planètes de Jupiter à l’œil nu, que les Cafres dont la puissance visuelle est à la nôtre comme 3 est à 2, pourraient, s’ils s’en donnaient la peine, distinguer des nuances imperceptibles à notre regard, — et qu’en effet, les Hottentots, les misérables Hottentots, ont trente-deux expressions pour désigner les différentes couleurs. En elle-même, la théorie Geiger paraît plausible ; nous la dirions même vraie, sauf que le développement dont il s’agit a dû s’opérer sur une période tout autrement longue que trois ou quatre milliers d’années. Quoi qu’il en soit, la question occupant alors les bons esprits, Bessels peignit en diverses couleurs une feuille de papier quadrillé, et questionna treize Itayens, hommes, femmes, enfants, chacun séparément. Tous distinguèrent les carrés blanc, jaune, vert foncé, noir, mais aucun ne parut différencier le brun du bleu. — L’observation est intéressante, mais non pas décisive. Qu’on se rappelle comment on enseigne aux écoliers qu’il faut regarder pour voir, écouter pour entendre. Nous ne percevons nettement que les objets sur lesquels notre attention éveillée a déjà dirigé les efforts de l’intelligence. Il ne suffit pas d’une vue perçante pour reconnaître autant de colorations que pourrait le faire un assortisseur des Gobelins, ni pour apprécier les gammes chromatiques qu’un peintre saisit sans effort. L’oreille inexercée n’est qu’un médiocre instrument à côté de celle du musicien qui, dans le large volume de sons qu’épanche un puissant orchestre, découvre la demi-note incorrecte qu’un exécutant a laissé