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les inoïts orientaux.

ces chiens seront mangés à leur tour. Rien ne se perd, rien ne se perdra. Ces Tchouktches sont décidément plus forts que nos économistes libéraux, école Manchester.

Les braves — ils ne sont point rares — les braves qui se sentent déjà sur le déclin, convoquent les parents et amis à un repas d’adieu dont ils font gaiement les honneurs. Après le dernier service, les invités se retirent discrètement, le patron se couche sur le flanc, et reçoit un bon coup de lance, qu’un camarade veut bien lui octroyer ; mais, le plus souvent, il s’adresse à un robuste gaillard qu’il paie et aposte exprès.

Aux vieillards, aux gens affaiblis, décidément inutiles, on demande s’ils n’en ont pas assez ? Il est de leur devoir, il est de leur honneur, de répondre oui. Là-dessus on maçonne, au champ des morts, une fosse ovoïde qu’on remplit de mousse, et aux extrémités on roule des pierres grosses et pesantes qui fixent deux perches horizontales. Sur la pierre du chevet, on égorge un renne dont le sang se répand à flots sur la mousse, et sur cette couche rougie, tiède et douillette, le vieillard s’allonge. En un clin d’œil il se trouve ficelé aux perches, et on lui demande : — Es-tu prêt ? Au point où en sont les choses, ce serait honte et sottise d’articuler une réponse négative, que d’ailleurs on ferait semblant de ne pas entendre. — « Bonsoir les amis ! » On lui bouche les narines avec une substance stupéfiante ; on lui ouvre l’artère carotide, et au bras une grosse veine ; en un rien de temps il est saigné à blanc.

L’opération chirurgicale est accomplie par les notables, ou simplement par des femmes, selon la considération dont jouissait l’individu. Si on tient à des obsèques particulièrement distinguées, le corps est brûlé avec celui du