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infanticides.

fraternité de maris, qui s’approprie la collectivité des femmes et la totalité des enfants. La tribu est alors une grande frérie. Passent pour frères tous les époux et pour sœurs toutes les épouses ; sont frères tous les cousins, sœurs toutes les cousines : une génération de frères succède à une génération de frères.

En nos sociétés policées, tout enfant qui voit le jour a la vie acquise, au moins s’il est bien constitué ; les parents qui tuent leur enfant sont, par les législations actuelles, punis presque aussi sévèrement que tous autres meurtriers ; et de plus l’opinion les voue à l’opprobre. Mais on se tromperait fort en pensant qu’on a toujours donné si grande valeur à la vie d’un petiot, — la faiblesse même — qui n’est encore qu’une promesse, rien qu’une espérance lointaine. Nul fait peut-être ne mesure mieux les progrès accomplis par notre espèce depuis l’époque glaciaire, — les progrès moraux, d’une lenteur désespérante, ne deviennent sensibles que sur de vastes périodes. Nos ancêtres n’admettaient pas que le nouveau-né eût droit à l’existence. La mère l’avait laissé tomber par terre ; il devait y rester jusqu’à ce que le chef de famille — nous allions dire le père, — jusqu’à ce que le maître le ramassât ou permît de le ramasser. Avant qu’il eût fait signe, l’objet ne valait guère mieux qu’une motte, ce n’était encore qu’un peu de terre organisée. De là, ces innombrables légendes d’enfants portés au désert ou dans la forêt, exposés en un carrefour, mis sur une claie d’osier et abandonnés au fil de l’eau. Pour quelques-uns qui furent recueillis, nous dit-on, ou allaités par des biches, des louves et des ourses, com-