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les inoïts orientaux

dépose ses meilleures pointes de lance et de harpon. Si la bête était une ourse, la vessie contiendra les verroteries et colliers de la femme, ses joyaux en cuivre. Le paquet ne sera descendu qu’après trois jours et trois nuits. Magie rudimentaire : puisque la vessie est pour les Esquimaux le siège de la vie, elle communiquera aux objets qu’on y place, les vertus physiques, morales et intellectuelles de l’âme qui l’habitait naguère. Il n’est pas inutile de mentionner, à ce propos, qu’une vessie attachée au-dessus de leur célèbre bateau, le kayak, le rend insubmersible, épargne à cette périssoire d’innombrables chavirements. Ajoutons que les lanières, attachées aux harpons, sont toujours pourvues d’une vessie gonflée qui fait surnager le tout quand l’animal plonge sous l’eau, après avoir été blessé.

Ce n’est pas à dire que la doctrine inoïte fasse de la vessie l’unique réceptacle de l’esprit. Le foie, « l’immortel foie », pour emprunter une expression de Virgile, est aussi un siège des destins. Le chasseur, qui vient d’assommer un phoque, communiquera de sa chance au camarade revenu bredouille, s’il remet le foie à un sorcier qui, séance tenante, le passe à l’enguignonné ; l’enguignonné lentement le mastiquera, lentement l’avalera, et après sera un homme autre[1].

Au premier hareng qui se laisse happer, on adresse des compliments solennels, on l’apostrophe comme un grand chef dans sa tribu, on lui prodigue les titres pompeux, et pour le manier on met des gants[2], au propre et au figuré. Interdit à toute femme de toucher le premier phoque capturé, les hommes seuls peuvent l’approcher. Et quand on va courir le morse, il n’est plus permis de ma-

  1. Rink, Tales of the Eskimos.
  2. Dall, Alaska and its Resources.