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le parler phoque.

nous exagérons. Citons un témoin oculaire, le véridique Hall :

« Coudjissi « parlait phoque ». Couché sur le côté, il se poussait en avant par une série de sautillements et reptations. Dès que le phoque levait la tête, Coudjissi arrêtait sa progression, piaffait du pied et de la main, mais parlait, parlottait toujours. Et alors, le phoque de se soulever un peu, puis, nageoires frémissantes, de se rouler comme en extase sur le dos et sur le flanc, après quoi sa tête retombait comme pour dormir. Et Coudjissi de se pousser à nouveau, de se glisser, jusqu’à ce que le phoque relevât encore la tête. Le manège se renouvela plusieurs fois. Mais Coudjissi s’approchant trop vivement, le charme fut rompu, le phoque plongea et ne fut plus revu. « I-ie-oue ! » fit le chasseur désappointé. Ah ! si nous savions parler si bien que l’ours[1] ! »

Si le phoque, si l’ours devaient croire ce qu’on leur chante, les « mots qu’on leur parle », les prendre, les tuer, les écorcher, les manger, ne seraient que détails accessoires, formalités obligées pour fournir aux Inoïts l’occasion de les approcher, de leur présenter les hommages les plus sincères et respectueux. Cependant le chasseur qui a fait le coup se tient généralement renfermé dans sa hutte pendant un ou plusieurs jours, suivant l’importance de l’animal abattu. Il craint le ressentiment de sa victime. Mais, comme il est toujours des accommodements avec les pouvoirs de l’autre monde, si le temps presse et que la chasse donne, il sera licite d’additionner les pénitences encourues, et de faire toutes les expiations en bloc ou par série, en semaine plus opportune. En attendant, on hisse, au plus haut des perches qui soutiennent l’iglou, la vessie de l’ours, poche dans laquelle le chasseur

  1. Hall, Life with the Esquimaux.