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les kolariens du bengale.

façon Cartouche et Mandrin, se jettent sur l’intrus, le houspillent et le malmènent, le forcent à déloger. Puis, ils réclament deux liards, en surplus, juste rémunération de la peine qu’ils ont prise à chasser le spoliateur, légitime récompense du mal qu’ils se donnent à empêcher son retour. Les deux sires, devenus plus riches et puissants que jamais, s’intituleront désormais « Maîtres des Défilés, Surveillants des Routes Nationales, Défenseurs de l’Industrie, Parrains de l’Agriculture », toutes appellations que le peuple naïf répète avec délices, car il lui plaît d’être rançonné sous couvert de protection, de payer large tribut aux détrousseurs qui ont du savoir-vivre.

C’est ainsi, — admirez l’ingéniosité humaine ! — c’est ainsi que le brigandage se régularise, s’étend, se développe, se transforme en mécanisme d’ordre public. L’institution du vol, qui n’est point ce qu’un vain peuple pense, fit naître la propriété et la police. L’autorité politique, qu’on nous donnait, hier encore, comme émanation du droit divin et bienfait de la Providence, se constitua petit à petit par les soins des routiers patentés, par les efforts systématiques de malandrins, hommes d’expérience. Les gendarmes ont été formés et éduqués par les braves qui, munis d’un bâton noueux, rôdaient à la lisière de la forêt, et criaient au marchand : « La bourse ou la vie ! » L’impôt fut l’abonnement, la prime que servirent les volés aux voleurs. Joyeux et reconnaissants, les rapinés se mirent derrière les chevaliers du grand chemin, les proclamérent soutiens de l’Ordre, de la Religion, de la Famille, de la Propriété et de la Morale ; les sacrèrent Gouvernement légitime. Ce fut un touchant accord.