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le contrat social.

Esquissons à grands traits une histoire du Contrat social plus vraie que celle de Rousseau ; reproduisons en ses grandes lignes l’établissement de l’administration politique et civile :

Un gaillard, homme de tête et de poigne, avise un rocher qui commande un défilé entre deux fertiles vallées ; il s’y installe et se fortifie. L’occupant fond sur les passants, en assassine quelques-uns, pille et dépouille le plus grand nombre. Il a le pouvoir, donc il a le droit. Les voyageurs auxquels il déplaît d’être mis à mal restent chez eux, ou font un détour. Resté seul, le brigand réfléchit qu’il mourra de faim, s’il n’entre en arrangement. Que les piétons reconnaissent son droit sur le chemin public, et ils franchiront le mauvais pas en payant péage. Le pacte est conclu, et le seigneur s’enrichit.

Voilà qu’un second héros, trouvant le métier bon, s’incruste sur le roc en face. Lui aussi tue et rapine, établit ses droits. Il rogne ainsi le revenant-bon du collègue, lequel fronce le sourcil et grommelle dans son donjon, mais réfléchit que le nouveau venu a forte poigne. Corsaire contre corsaire ne font pas leurs affaires. Il se résigne à ce qu’il ne saurait empêcher, entre en pourparlers ; on payait au premier, on paiera quelque chose au second : il faut que tout le monde vive !

Survient un troisième larron qui s’installe à un autre tournant de route ; du haut de son échauguette, lui aussi annonce qu’il prélèvera sa part. Cette prétention offusque les aînés, qui comprennent fort bien qu’ils seront frustrés de leur revenu, si on demande trois sous au voyageur qui, n’en ayant que deux à donner, restera chez lui plutôt que de risquer sa personne et ses bagages. Nos économistes,