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les kolariens du bengale.

ment requis quand il s’agit de retrouver des animaux que les voleurs ont détournés et emmenés. En rase campagne, et sur une bonne route, la passée ne serait pas difficile à suivre ; mais quelle perplexité aux portes des bourgs, aux passages par lesquels ont piétiné des troupeaux ! La dernière empreinte est recouverte d’un caillou, montrée aux notables de l’endroit. Ceux-ci ont intérêt à prouver que la piste ne s’est pas arrêtée chez eux ; ils aident à reprendre la recherche à l’autre bout du village. Des limiers sagaces ont fini par retrouver l’objet après avoir parcouru 3 à 400 kilomètres[1]. Mais si les traces viennent à se perdre dans la forêt ou la jungle, si elles s’effacent dans son village, le manker est tenu pour responsable et rembourse le dégât sur ses honoraires. Il a le droit en tout temps de résigner ses fonctions, même de s’établir voleur et de spolier les propriétés qu’il protégeait la veille. Certains subviennent à l’insuffisance de leur traitement en cumulant les professions de gendarme et de maraudeur ; pendant douze heures, ils sauvegardent les propriétés ; pendant douze autres, ils vont fourrager aux entours.

N’est-ce la qu’une particularité locale, qu’une singularité ethnique ? Ces Bhils si corrects, ces Maravers en partie double, nous montrent, pris sur le fait, le principe de l’autorité et le mécanisme de l’institution judiciaire, fondés, non pas sur un sentiment de moralité abstraite, comme enseignent les professeurs, mais sur l’intérêt. À un moment donné, le grand nombre trouve avantage à se garantir contre le vol et le meurtre en payant une prime d’assurance aux individus qui font profession de brigandage : honnêtes gens désireux de s’entendre avec le bon public.

  1. Elliot, The native races of the North-Western provinces of India.