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l’individu et le corps politique.

Dans les hordes composées de dix à cent familles, chaque adulte compte pour sa personne ; tout mâle forme à lui seul une fraction du public ; ni sa voix ni ses bras ne sont à dédaigner ; son opinion, ses désirs et sentiments seront toujours pris en considération dans les conseils du chef, les délibérations du sénat et de l’assemblée populaire. Mais que pèse, que peut peser une monade humaine dans les nations modernes, dans ces États monstres, composés de dix, vingt, trente, cinquante ou cent millions d’âmes ? L’individu, absorbé dans la masse, n’est plus qu’un grain de sable, qu’une goutte dans l’étang. Ce que perdent les particuliers est gagné par le pouvoir central, quelque nom qu’on lui attribue, monarque, protecteur, président, doge ou stathouder. Seul, le roi ou empereur compte vraiment en son État ; il est un être réel, en face de ses sujets dont la valeur n’est qu’abstraite et conventionnelle. La cité barbare, peuplée de citoyens effectifs, constitue un organisme vivant. Son mécanisme, composé essentiellement du peuple et de son chef, se complique bientôt d’un facteur intermédiaire : le Sénat, lequel se met à la remorque de celui-ci ou de celui-là. Les préférences de cet organe politique se tournent vers le chef qu’il s’applique à absorber, en attendant qu’il entreprenne le peuple. Selon les circonstances, le gouvernement se transformera en aristocratie militaire, oligarchie féodale, magma de gros censitaires, syndicat d’exploiteurs privilégiés de la fortune publique. Que viennent brocher par-dessus les sorciers, prêtres et faiseurs de pluie, brouillant temporel et spirituel, parbrouillant les affaires d’en haut et d’ici-bas, la petite tribu sera bouleversée par les mêmes complications qui agitent et troublent les États faisant grande figure sur la scène du monde.