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les kolariens du bengale.

un livre sacré, ont l’œil féroce, soutireur de vie. » Comparés aux possesseurs de la vraie religion et de la véritable science, ces misérables n’étaient sans doute que « les fous adorateurs de dieux insensés » ; — mais si la rougeole et la petite vérole obéissent à leur signe ? La peste, le choléra, la petite vérole, sont de terribles divinités ! Maint luthérien achète la protection d’un bon-dieu local, la faveur d’une notre-dame catholique, maint Indou croit opportun de se propitier telle ou telle divinité rurale, qui cousine avec les enfants du sol. Les tourbes d’esprits et de démons sont incomparablement moins puissantes que l’auguste Siva ou le sublime Vichnou, mais infiniment plus rapprochées des mortels ; il n’est que sage de les ménager.

Ainsi une Brahmane a vu mourir ses enfants l’un après l’autre. — Pourquoi ? — On n’en sait rien. La faute en est peut-être à un Korégar, à une Birhore qui les a mégardés, à quelque démon du voisinage. La pauvre mère donne le jour à un autre petit. — Que fera-t-elle pour le garder en vie ? — Cette « bien née », cette femme orgueilleuse de son lignage, qui, en temps ordinaire, ne toucherait pas avec des pincettes à une de ces Korégares, la fait prier respectueusement de vouloir bien la visiter, la supplie de la prendre en grâce, la presse d’accepter du riz, de l’huile, quelques pièces d’argent, et enfin lui tend son nourrisson pour qu’elle le prenne dans ses bras et le mette au sein. La sauvagesse se laisse toucher, détache un de ses anneaux de fer, le passe au poignet du petiot, s’écrie à haute et intelligible voix : — « Enfant, tu t’appelleras Korégaret ! » Elle fait teter l’innocent, le rassasie et le rend à la mère. Par l’adoption simulée, par le lait, par le nom, elle a fait sien l’enfant brahmane, l’a incorporé à