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vils, de par la loi.

terre, ils devaient porter un crachoir sur leur personne[1]. S’il fallait les toucher, ce devait être avec un fer rouge. Le plus sûr était de les tenir à distance : nonante-six pieds entre leur corps hideux et un auguste Brahmane n’étaient que distance suffisante ; il leur fallait demeurer en dehors de tous les villages habités par des gens honnêtes ; on leur enjoignait de ne porter aucun vêtement au-dessus de la ceinture ; de parler la main devant la bouche, et encore de ne s’exprimer que dans leur patois[2] : la noble langue des conquérants ne devait point, portée par une haleine puante, passer par ces lèvres impures. Qu’ils ne présument dire : « Moi, mon riz, ma femme, mes enfants » ; mais qu’ils éjaculent dans leur charabia des expressions telles que celles-ci : « Votre esclave, ma sale ratatouille, ma guenon, mon veau, ma velle. » Des prêtres seuls pouvaient avoir formulé cette législation, qui érigeait la férocité en système et rendait la cruauté plus savoureuse en l’assaisonnant d’insulte. Un chef-d’œuvre de cette politique fut d’interdire aux vaincus le progrès et l’instruction. Enjoint aux Indous en général, et aux Brahmanes en particulier, de cultiver leur esprit, de s’imprégner de poésie et de la littérature sacrée, résumé de toute science ; interdit aux indigènes de toucher, de regarder aucun livre. Pour mieux fixer les vaincus dans le servage, la législation défendait tout changement qui eût amélioré leur condition. Ils avaient été razziés de leurs troupeaux ? Défense d’en acquérir de nouveaux, défense de porter la main sur un pis de vache pour en tirer du lait, de posséder autres animaux que des chiens et des ânes. Ils n’avaient que des habitations misé-

  1. Koragars, Walhouse.
  2. Non aryen, apparenté au tamil et telougou (Beames).