Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/316

Cette page n’a pas encore été corrigée
296
les kolariens du bengale.

sable, les Aryas avaient eu pour politique d’élargir incessamment la distance entre vainqueurs et vaincus, de rehausser les premiers, d’avilir les seconds, physiquement et surtout intellectuellement, — car nulle démarcation n’est plus profonde, mieux évidente que celle qui sépare le civilisé du barbare ; — ils avaient interdit de transmettre à la race inférieure les nobles arts de la lecture et de l’écriture. Le Brahmane eût passé pour traître qui eût communiqué ses formules et liturgies, qui eût expliqué les Védas aux ilotes. L’instruction développe les facultés et l’hérédité les fixe ; aussi nulle race n’est plus intelligente que l’indoue, nulle n’a l’esprit plus souple et plus subtil, n’a créé langue plus riche et savante, poésie plus grandiose, philosophie plus abstraite et profonde, architecture plus étonnante, religions plus extraordinaires. Entre les hautes et les basses castes, tout contact immédiat passa pour abominable et finit par sembler impossible. Avec une sagacité rare et une ingéniosité vraiment étonnante, les conquérants s’appliqueront à dégrader les subjugués, à les rendre méprisables à leurs propres yeux. Les lois de Manou décrétaient la honte et l’humiliation, la misère et l’ignorance, imposaient un état civil, qu’elles ne pouvaient imaginer plus abrutissant, à ces « êtres noirs de couleur, à figure bestiale, moins hommes qu’animaux », dont le souffle contamine l’atmosphère, et dont l’ombre empoisonne les aliments, et même les eaux sur lesquelles elle passe. On leur donnait des noms comme ceux de Kolhs, les porcs, Poulayers, l’ordure. À quiconque elles donnaient droit de les tuer, sans qu’il fut besoin d’alléguer aucun motif ; mais qui eût voulu se souiller la main en les frappant ? On se salissait, rien qu’à les conspuer, à leur cracher à la figure. Et pour que leur salive n’infectât pas la