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le froid polaire.

seront avant que vous ayez vu arriver les personnes dont une lieue ou deux vous séparaient, Et cependant, un coup de fusil tiré à vos côtés n’a pas plus ébranlé l’atmosphère que si vous eussiez brisé une noix…

« C’est le mirage avec ses fantômes de rives, ses montagnes renversées, ses arbres qui marchent, ses collines qui se poursuivent, ses dislocations de paysage, ses fantasmagories kaléidoscopiques, de prétendus bouleaux au-dessus de verts gazons… Des colonnes de fumée qui s’élèvent dans le brouillard donnent l’illusion d’un campement. Et sur la mer des troncs d’arbres, venus on ne sait d’où, s’enflamment par le frottement violent des glaces. »

Partout du froid. Voici comment en parle un malheureux de la Jeannette :

« Enfin l’hiver sévit dans toute sa rigueur. Le thermomètre descend à 52 degrés. Notre abri disparaît sous quatorze pieds de neige ; des vents impitoyables, chargés de grêlons aigus, nous forcent à verser jour et nuit le charbon et l’huile dans les deux poêles qui conservent un peu de chaleur à notre sang.

« Je fis glacer du mercure et le battis sur l’enclume. Notre eau-de-vie, congelée, avait l’aspect d’un bloc de topaze. La viande, l’huile et le pain se divisaient à coups de hache. Josué oublia de mettre son gant droit. Une minute après sa main était gelée. Le pauvre diable voulut tremper ses doigts inertes dans de l’eau tiède. Elle se couvrit aussitôt de glaçons. Le docteur dut couper le membre de notre infortuné compagnon, qui succomba le lendemain.

« Vers le milieu de janvier, une caravane d’Esquimaux vint nous demander quelques poissons secs et de l’eau-de-vie. Nous joignîmes du tabac à ces présents, qui furent acceptés avec des larmes de joie. Le chef, vieillard débile, nous conta que, le mois précédent, il avait mangé sa femme et ses deux garçons. »