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cruautés.

turés et dont ils avaient apprécié la force ou la valeur, ont été obligés de procréer un rejeton avec une fille de la tribu, afin de conserver la bonne graine[1]. Mais le service rendu ne les a pas toujours rachetés de la mort et des tortures ; car ces sauvages se délectent à faire subir aux prisonniers d’abominables supplices ; ce que Chateaubriand avait déjà raconté dans sa Vierge des dernières amours.

Pour cruels, ils le sont. Constatons-le, sans les innocenter pour cela : les supplices qu’ils infligent, ils savent les supporter. Et ils ne trouvent pas mauvais qu’on les leur fasse subir, si par malheur ils se sont laissé prendre. Il faut aussi mettre en ligne de compte qu’ils ont pour distraction, à peu près unique, d’aboyer à la lune et qu’ils éprouvent le besoin de quelques représentations plus émouvantes. N’en ayant pas de simulées, ils se rabattront sur les réelles, car ils manquent de théâtres pour drames et mélodrames. Eux aussi ont besoin de contempler un héros aux prises avec l’adversité, « plaisir des dieux » d’après la doctrine des Stoïciens, le plus beau spectacle qu’il soit donné à l’homme de regarder. Ce qui explique aussi le succès des autodafés et des mille tourments que, hier encore, nous infligions aux hétérodoxes et libres penseurs. Ces malheureux Peaux-Rouges n’ayant pas d’acteurs pour rire, ni de bourreaux délégués par la magistrature, sont obligés de payer de leur personne, d’écorcher eux-mêmes le martyr, de brûler eux-mêmes le délinquant à petit feu. Ne l’oublions pas : dès que les fonctions réparatrices de la nutrition sont accomplies, l’animal humain n’est pas encore satisfait ; l’intelligence et l’imagi-

  1. Henry.