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la civilisation meurtrière.

une terre sauvage, ils veulent aller et venir à leur guise, jamais ils ne se laisseront mener à la baguette[1]. »

—  Les Aléouts, cependant, se sont laissé mener à la baguette ?…

—  À la baguette…. cela mérite explication. Les Russes eussent volontiers joué du knout et de la plète nationale sur ces fantasques insulaires, qui se laissaient tuer presque avec indifférence, et qui, sans mot dire, allaient se suicider pour un coup de bâton. C’est parce que les Russes prétendaient les mener à la baguette que les Aléouts meurent ou sont morts. La vie sans liberté ne leur offrant aucun charme, ils pensèrent s’enfuir dans l’autre monde, pour échapper aux tâcherons et aux exacteurs. Ils avaient commencé par se donner sans réserve, mais n’avaient pas pensé que ce serait pour être fouettés. Dociles et disciplinables à un rare degré, ils avaient accepté la direction d’hommes dont ils s’exagéraient la supériorité, et qu’ils prenaient pour des frères aînés. Que n’eussent accompli des hommes intelligents et bons avec ces volontés qui s’offraient de si bonne grâce ! Mais quoi ! des âmes et des cœurs ? Les flibustiers ne demandaient que huile et saindoux, que peaux de martre et de renard[2].

Généralisons la question :


Dans les luttes pour l’existence, à travers lesquelles l’humanité se fraye un chemin sanglant, les vertus passives sont égorgées par les vices agressifs. Et sans agiter la question vice et vertu, on a vu partout, au contact des blancs, se détraquer les systèmes politiques et sociaux,

  1. Hall.
  2. Voir Sproat, Rink et Bastian qui développent la même idée.