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les inoïts occidentaux.

Les chefs de la Compagnie se titraient officiellement de Très Honorables ; ils qualifiaient d’Honorables leurs principaux employés, et daignaient donner du « Demi-Honnêtes » à leurs écrivains et comptables, appellation trop flatteuse encore. Krusenstern, un marin sans artifice, déclarait que, pour entrer dans ce service, il fallait être mauvais sujet, aventurier de vilaine espèce. Au dire de Langsdorf :

« Les Aléouts sont commandés par quelques promyschlenik[1], scélérats ignares et malveillants, que des crimes multipliés ont fait chasser de leur pays natal. Ils font ce qui leur plaît et n’ont aucun compte à rendre. Une peste terrible ferait moins de ravages que cette administration-là. »

Le naturaliste Kittlitz, qui accompagna l’amiral Lutke dans ces parages et fut hébergé de comptoir en comptoir, n’osait dire la vérité, mais la laissait deviner :

« La Compagnie russo-américaine exige le service d’une moitié de l’entière population masculine, âgée de 18 à 50 ans. Le travail est entièrement gratuit. Elle engage aussi quelques salariés. Pendant six mois les hommes vont sur mer à la chasse des animaux marins, et pendant les six autres mois courent le renard. Dans ces conditions, il est difficile de comprendre comment il peut rester assez de bras pour subvenir aux besoins les plus indispensables de la famille. »

Trois générations de chrétiens et de civilisateurs suffirent pour épuiser le pays et le saigner à blanc. Les îles étaient riches en animaux à fourrure, donc il fallait exterminer les animaux à fourrure. Des seules îles de Pribylon, on

  1. Aventuriers.