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douceur habituelle.

réussissait ou non, puis battait en retraite. Pareilles attrapades n’étaient point fréquentes, puisque le père Veniani ne vit pas une seule rixe à Ounalaska, pendant dix ans de séjour, et que Ross ne put faire comprendre aux Baffinois, qui manquent d’armes de guerre, ce que nous entendons par les batailles et les combats. Dans toute la Boothia Felix, on ne connaissait qu’un seul cas de meurtre ; personne ne frayait avec son auteur, chacun l’évitait. Pacifiques à l’excès, ils se soumettront à qui voudra les commander, — il leur est pourtant très désagréable d’obéir, — mais de lutter et se quereller, encore plus. Si quelque jeunesse avance son opinion d’une façon plus tranchée qu’il ne conviendrait, les anciens, fussent-ils d’un avis contraire, passent la chose en plaisanterie, ou demandent : « Explique tes raisons. Peut-être sais-tu du nouveau ? » — Ces naïfs osent à peine engager une affaire d’achat ou de vente pour leur propre compte ; modestes à l’excès, ils ne peuvent, sans malaise, s’entendre louer, et rougissent jusqu’aux oreilles si on les complimente devant un ami ; par contre, des reproches devant un étranger les mettront en fureur. Avec toute leur patience, ils ont parfois des revirements subits, d’abominables colères :

« Charley revint bredouille. Sa femme arriva pour décharger le bateau ; elle pataugeait dans la boue, sa charge sur les épaules, quand Charley, sans motif apparent, d’un coup vigoureux, lui déchargea son harpon dans le dos ; heureusement que la pointe s’arrêta dans l’épaisseur des habits. L’autre se retourna sans mot dire, dégagea le harpon, et reprit sa marche. Quand ils s’en prennent à leurs épouses, ils saisissent le premier objet qui leur tombe sous la main : couteau, pierre ou hache, et le lancent sur leur moitié, — ils en font autant à leurs chiens.