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baleiniers.

sur la baleine un dard fadé, nous dit-on, puis s’enfermait dans une cabane isolée, où il passait trois fois vingt-quatre heures sans manger ni boire. Il imitait de temps en temps les gémissements( ?) de la baleine blessée, croyant ainsi assurer sa mort, et le quatrième jour retournait à la mer. S’il trouvait la bête morte, il se hâtait d’extraire le dard, avec les parties que l’arme avait atteintes, de peur que sa magie ne portât préjudice aux mangeurs. Si la baleine nageait encore, quelque faute avait été commise, et il rentrait en sa hutte pour recommencer la conjuration[1].

La caste privilégiée faisait pépinière de dieux, ses membres jouissaient d’un prestige surnaturel, au moins pendant que durait la chasse. Nul alors n’aurait goûté à leurs aliments imprégnés de vertus magiques, n’aurait approché leurs personnes, ni même osé regarder leurs rames.

Mais pour être divins, ils n’étaient pas immortels. À leur décès, les confrères dépeçaient le cadavre en autant de morceaux qu’ils étaient d’individus ; chacun frottait de sa graisse la pointe du harpon préféré ; le conservait en manière de talisman. D’autres déposaient dans une cachette le corps éviscéré, débarrassé des matières grasses, lavé en eau courante. La veille d’une expédition, les compagnons visitaient leur Campo Santo, aspergeaient les cadavres, les épongeaient, pour boire le liquide qu’avaient imprégné les vertus, la force et la bravoure du défunt. Ainsi prennent naissance la religion des reliques et les multiples superstitions de la nécromancie.

Il n’y a pas que l’indomptable vaillance des héros défunts qui se communique aux vivants ; les morts vulgaires

  1. Venjaminof.