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l’art primitif.

déclare satisfait[1], ou que les assistants en aient assez. Les meilleures choses ont leur fin.

Les Inoïts n’ont pas, comme nous, fractionné leur art en poésie, en danse et en musique ; à peine s’ils le distinguent de leur religion, ou de ce que nous appelons ainsi : car leur religion, purement instinctive, ressemble peu à nos religions abstraites, fortement travaillées par la métaphysique. Les primitifs n’ont pas coupé leur être en deux tronçons : leur vie profane est pénétrée et tout imprégnée de vie religieuse ; par contre, leur religion est indissolublement liée aux fortes réalités de l’existence quotidienne. Nos évêques excommuniaient naguère les danseurs et les danseuses de l’Opéra, leur refusaient la sépulture en terre sainte ; crieraient au sacrilège si un autre David[2] se mettait à danser devant le Saint Sacrement. Mais un Aléout ne comprendrait pas qu’on adorât son Tornarsouc autrement qu’avec des trémoussements de jambes. Ce que la poésie est à la prose, la danse l’est au geste. Mouvements rythmiques l’un et l’autre, ils émanent de l’intelligence et de la passion. Avec les yeux et le geste il est moins facile de mentir qu’avec la langue et les lèvres ; le geste, en tant qu’expression immédiate du sentiment, précède le langage articulé ; d’où l’importance de la danse et de la pantomime chez les sauvages.

La danse, geste cadencé auquel tout le corps participe, est l’art suprême par excellence, le langage des populations primitives. L’Aléout, plus sensitif et imaginatif que

  1. Richardson, Polar Regions.
  2. II Sam., VI, 14.