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LE PAIN

devra, bientôt après, cracher sur une feuille de pipul. Il est déclaré coupable s’il se met à frissonner, si les commissures de sa bouche viennent à enfler, si sa salive s’injecte de sang.

Les nègres n’ont d’autre raison quand, dans leurs prestations de serment, ils mangent d’une substance fétiche, au milieu d’incantations religieuses. Ils vous diront que, s’ils se parjuraient, le fétiche leur deviendrait poison dans l’estomac.

Nous ne voulons pas nier, encore moins déguiser, que l’ordalie n’arrive à être en contradiction manifeste avec plusieurs applications du principe cardinal de l’opus operatum dans l’Eucharistie, et ce n’est pas la première fois que nous rencontrons des incompatibilités dans la doctrine officielle. Nous avons à exposer la croyance, sa génèse, ses divers développements et, s’ils ne s’harmonisent pas tous, il ne nous importe, pourvu que l’incongruité ne soit pas de notre fait. Même les contradictions sont fatales dans les doctrines que de vastes collectivités ont embrassées avec ardeur pendant un long temps et qu’elles ont travaillées tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. À la fin, elles se trouvent représenter ces collectivités elles-mêmes ; l’ingéniosité abonde, mais non pas le bon sens, la logique est forte dans les détails, mais faible dans l’ensemble. Car la faculté synthétique n’est pas le don de tous, même à un degré très restreint ; elle est rare. Il ne peut exister d’homme ayant un génie assez vaste pour embrasser d’une façon adéquate les aspirations et désirs de l’humanité, le souvenir de ses expériences. Voilà pourquoi nous sommes obligés, même avec les meilleurs intentions, de nous critiquer et condamner les uns les autres. Et tradidit mundium disputationibus.

Dès les premiers temps de l’Église, les nourrissons malades furent traités au pain eucharistique qu’on leur faisait sucer pour en extraire le divin sang. Les Amharras d’Abyssinie, qui communiaient toujours sous les deux espèces, administrent encore à leurs enfants le sang du Christ, concurremment au lait maternel, ce qui ne peut manquer de les préserver de maladies et de leur faire bon caractère et robuste tempérament. « Que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a été donné pour toi, te préserve, âme et corps, pour et jusqu’à la vie éternelle », dit l’office liturgique de l’Église anglicane.