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LE PAIN

approchait de ses lèvres souillées les saintes espèces, quand une colombe blanche entra soudain par la fenêtre dans le prétoire, but le vin, emporta l’hostie et disparut… Le Saint-Esprit, la troisième personne de la Trinité, était descendue du ciel pour empêcher l’acte sacrilège. Une autre fois, c’était un moine qui, se parjurant avec un front d’airain, avala l’hostie comme si elle n’eût été qu’un vulgaire pain à cacheter, quand Notre Seigneur, indigne d’être logé dans les entrailles de cet impudent, lui sortit par le nombril ; et l’hostie était tout aussi blanche, tout aussi pure que dans l’ostensoir.

Il est évident que, de toutes les ordalies, celle qui consistait à avaler un peu de pain bénit était la moins dangereuse et celle qui faisait le moins souffrir la chair. Aussi le clergé eut-il le bon esprit de ne point en accepter d’autre, mettant en avant le motif, très plausible d’ailleurs, que cette procédure était la mieux appropriée à leur sainte profession. Pour prouver leur innocence, tandis que les nobles ferraillaient à grands coups d’épée, que les manants se faisaient jeter à l’eau, que les laboureurs marchaient pieds-nus sur des socs de charrue rougis au feu, les hommes de Dieu s’en tenaient sagement à la déglutition de leur gaufrette. Longtemps les populations anglo-saxonnes se tinrent aussi de préférence à cette épreuve et firent bien.

Il est curieux d’observer que la théorie de cette épreuve, dite du corsnaed, est en tous points semblable à celle du « gâteau de jalousie », épreuve judiciaire que la loi de Moïse imposait à la femme accusée d’adultère : le gâteau était mis à fumer sur l’autel, pour que son odeur pénétrant jusqu’à l’Éternel réveillât sa mémoire.

Les Fantis, nègres de la Guinée, ont leur Brafou fétiche. Le prêtre leur fait prêter serment, et, en leur donnant à manger d’une certaine pâte, leur explique que Brafou y est enfermé et qu’il entrera dans leur corps et leur substance. Ainsi introduit dans la place, Brafou exercera, s’il y a lieu, « sa vengeance jusque dans leur sang et dans leurs moëlles ».

Les Cinghalais qui se disputent un terrain mangent devant le juge du riz récolté sur le champ en litige ; il ne doutent pas que le riz ne se refuse à séjourner paisiblement dans le corps d’un menteur.

La même pratique existe dans l’Inde. Apres de sombres incantations, on fait avaler au prévenu des graines de riz, qu’il