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LE PAIN

l’ostensoir de travers. D’aucuns, le pain eucharistique encore à la bouche, claquent d’un fouet derrière l’autel, effronterie qui les met en grand honneur auprès des habitués et habituées aux orgies de la Walpurgis. On accusait le Christ de chasser les démons par l’assistance de Belzébuth, et il demandait si Satan était divisé contre lui-même. Qu’eut-il dit à ceux qui se servent de son corps, de sa chair et de son sang, pour faire des diableries et jeter de mauvais sorts ?

Par la vertu de l’Eucharistie, le fidèle s’identifie à Dieu ; par la participation à la même nourriture mystique, le Créateur et la créature deviennent un même esprit. À l’instar de l’homme et de la femme qui, par le sacrement du mariage, deviennent une même chair, on se rappelle que celui qui mange indignement le corps du Seigneur mange et boit sa condamnation. On en a déduit, avec une logique rigoureuse, que, pour savoir si des gens étaient innocents ou coupables, dignes ou indignes du sacrement, on n’avait qu’à le leur faire prendre et à attendre les résultats. Les docteurs en théologie ont minutieusement prescrit la procédure qu’il fallait dans le jugement de Dieu par la sainte Eucharistie ou par le pain bénit ; ils insistaient fort sur une précaution essentielle : il ne fallait pas que l’accusé se fût confessé récemment, parce que l’absolution obtenue du prêtre, en réconciliant avec Dieu le malfaiteur, aurait pu le mettre en état de prendre le sacrement sans effet fâcheux. Sous cette réserve, la cérémonie dite panis conjuratio se faisait avec solennité et grand’pompe. Les parties adverses étaient admises en présence chacune d’une once de pain d’orge ou environ ; et on les chapitrait : « Prenez garde, prenez garde ! Qui mange de ce pain en faisant parjure est un assassin du Seigneur Jésus, reus erii corporis et sanguinis Domini, il mange sa condamnation ; la malédiction lui entrera au ventre et l’étouffera : judicium sidi mandicat. La chair bénite pour l’innocent tournera en poison dans l’estomac du coupable. Le criminel pâtira, tremblera, une sueur froide lui viendra au front : ce sera la preuve du forfait. »

La littérature du moyen-age abonde en récits qui vantent l’efficacité du système. Une fois, c’était un prêtre coupable qui