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le pain

pour satisfaits des offrandes de riz et d’orge. Après tout, le grain moulu répond au poil et aux cheveux de l’animal sacrifié, l’eau répandue répond à la peau, la mie à la chair, la croûte aux os, et le beurre dont on l’arrose aux moëlles. Les cinq parties essentielles de la bête se retrouvent donc dans le gâteau sacré. »

Ce qui prouve une fois de plus que les dieux, intraitables en d’autres occasions, se montrent de facile composition quand ils voient les mortels bien décidés à retrancher sur les frais du culte. Plus on leur donne, plus ils exigent, moins on leur offre, plus ils sont faciles à contenter.

Nul doute que la transsubstantiation ne soit le développement logique de la doctrine de la Rédemption. L’incarnation se complète par l’imponation. « Le verbe a été fait chair. » Puis il a été fait pain et pain de vie. Il ne suffisait pas que le Maître suprême descendit de son empyrée jusque dans le sein d’une femme, il fallait encore qu’il descendît dans l’estomac d’un chacun ; il ne suffisait pas qu’il eut été notre égal, ensuite notre serviteur et moins que notre serviteur. Afin de régénérer plus sûrement la matière humaine, on le transforma en objet de nourriture, on le livra à la consommation de tous et de chacun, et le voici qui est trituré par le mouvement péristaltique, imprégné de sues digestifs, charrié par les vaisseaux chylifères, emporté par la circulation sanguine, toutes opérations nécessaires pour diviniser la substance humaine, et la rendre capable d’immortalité. On peut dire que l’idée a été menée jusqu’au bout. Ni la science ni la folie ne sauraient aller plus loin. Affamée, altérée de divinité, l’humanité a dit à son Dieu ce que dans leurs élans passionnés disent aussi la mère à son enfant, l’amant à son amante : « Je te mords, je te mange. »

Avant de donner au dogme de la transsubstantiation sa forme absolue et définitive, l’Église chrétienne mit des siècles a l’élaborer, plusieurs autres siècles à l’enseigner aux nations qu’elle berce sur ses genoux.