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LE PAIN

Nous montons le mont de Sion !
Nous vivons, nous trépignons,
     Bon, Bon !
Nous sautons, nous sautons !
     Ho ! ho !
Nous dansons, nous dansons.

Les danses se font de plus en plus violentes et furieuses, elles continuent jusqu’à épuisement ; dévots et dévotes finissent par tomber par terre et rouler les uns sur les autres, et tout à coup les lumières s’éteignent. Les Flagellants tiennent le corps pour une guenille, pour chose de si mince valeur qu’il n’y a pas à attacher grande importance à ses écarts.

Neuf mois après la sanglante cérémonie, si la malheureuse fille amputée d’un sein vient à accoucher, le garçon est appelé Christinal, le petit Christ. La communauté lui fait belle fête. Huit jours après, il est frappé d’une lance au flanc, et, de son cœur transperce, on recueille le sang qui est bu avec empressement. Le petit corps est desséché, moulu en poudre, cuit dans des gâteaux que l’on se distribue aux agapes fraternelles. Autour de ce dogme de l’Eucharistie, on a toujours flairé une odeur fade et inquiétante que les théologiens ont déguisée comme ils ont pu sous des allusions de mysticisme hypertranscendental ; de même que les anciens prêtres s’efforçaient à noyer sous d’épaisses vapeurs d’encens l’infection de leurs temples, puantes boucheries.

L’histoire des dogmes dont s’agit et des hérésies qu’il a engendrées le prouve surabondamment, le système de la transsubstantiation est plus ancien que Radberg et Béranger ; la pratique des Eucharisties remonte plus haut que le célèbre repas offert par Christ aux Apôtres la veille du vendredi saint. Nous en connaissons la forme première, c’est un repas de cannibales. Une science plus avancée trouvera la série entière des transitions, et nous en chercherions les principales dans les premières religions agricoles avec leurs terribles divinités chthonique. Dans le voisinage des plaines du Tigre et de l’Euphrate, dont tôt ou tard les assyriologues reconstitueront l’histoire, on découvre comme une nichée de traditions analogues. C’est la crédule Syrie, molle et ardente, dévote et débauchée, folle des fêtes de Thammuz, où les femmes pleuraient avec cris et sanglots le beau jeune homme que son maître avait moulu entre les meules du moulin. C’est le torride