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le pain

Christ, un seul corps qui est l’Église… Le pain que nous rompons est la communion du Corps de notre Seigneur… Nous mangeons la même viande, nous buvons le même breuvage… Parce qu’il n’y a qu’un seul pain, nous ne sommes qu’un seul corps… Tant nombreux que nous soyons, nous sommes participants du meme pain. »

N’est-ce pas clair ? En mangeant Christ, les Chrétiens deviennent autant de petits Christs.

Il est maintenant facile de comprendre pourquoi l’Église primitive interdisait si sévèrement à ses membres de consommer aucune viande qui eut été consacrée aux dieux alors régnants. « Ceux qui mangent du sacrifice sont participants de l’autel, disait nettement Saint-Paul, et par consequent, participants du démon de l’autel. » Origène était de même opinion : « Il mange et boit avec le diable, qui mange de la viande, qui boit du vin qu’on a mis devant les idoles. » La jeune chrétienté pensait alors de tous les sacrifices païens ce que les paysans disaient eux-mêmes des sacrifices qu’ils effectuaient en des cas spéciaux pour faire tomber la vengeance divine sur certaines têtes ; l’imprécation adhérait à la viande ; on n’y pouvait goûter sans être sous le coup de la malédiction. Nous avons quelque difficulté à nous remettre en cet ordre d’idées qui a été abandonné chez nous depuis bientôt deux mille années. Mais les nègres du Congo n’y voient, eux, rien que de très raisonnable, et ils savent fort bien qu’en mangeant du pain bénit et qu’en buvant de l’eau bénite ils mangent et boivent le Dieu lui-même.

Ceci établi, nous saisissons le motif pour lequel les Apôtres identifiaient avec l’infidélité conjugale le fait d’avoir mange d’une viande souillée par l’autel païen. Manger coup sur coup la chair du Christ et celle des démons, c’était vouloir ériger son corps en temple de Dieu et en repaire des démons tout à la fois. C’était se faire une âme mi-partie diable, mi-partie Saint-Esprit. L’organisme entier était tire de haut et de bas, toutes les molécules entraient en guerre les unes contre les autres, et les maladies de s’en suivre, même la mort. La chair du Christ entrer en contact avec celle de Vénus ! On n’était plus un, mais deux, la vivante incarnation de l’adultère ! Voilà pourquoi