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le pain

y a longtemps qu’on le sait, les modestes sont traités en gens médiocres, et même en pleutres. Il faut exiger trop pour avoir assez.

L’œuf et le pain sont ensuite enveloppés dans une serviette blanche par la ménagère qui les garde pour le premier pauvre que le hasard fera passer devant la porte. Car on n’ignore pas, dans les campagnes, que le Seigneur Dieu ne manque pas de ratifier les bénédictions qu’a proférées la bouche d’un malheureux.

Aucun soin n’a été épargné pour se munir de bonne semence. Elle a été prise dans la dernière gerbe que le paysan a soigneusement chargée de cailloux afin qu’elle donne des épis plus pesants, une récolte plus lourde ; ou bien encore elle a été cueillie dans les guirlandes d’épis enrubannés qui ont été laissés dans le champ, soit pour les oiseaux, soit pour les pauvres, soit pour les divinités rurales, et dans lesquelles les grains qui ont échappé aux moineaux porteront bonheur à la moisson future. La semence a été flambée à un feu de paille, afin que la rouille n’attaque pas le blé ; d’aucuns la saupoudrent encore de la cendre recueillie à un foyer de Pâques, et, par surcroît, la font bénir par le curé. Pour la maintenir pure et sainte, ils l’ont gardée dans une toile qu’ont filée des fillettes au-dessous de sept ans, dans des sacs recélant un objet métallique, une pièce d’argent, un brimborion d’acier. Au grand repas de Noël, les gens entendus servent sur ce sac le pain de la fête afin que la bénédiction du pain se transmette par contact à la toile, et de la toile aux grains qu’on y déposera.

Il n’est pas indifférent de procéder aux semailles à toute heure et en tout jour. Il est de science vulgaire et universelle que les plantes telles que nos graminées, dont le « fruit » est aérien, doivent être semées en « cours de lune » et spécialement au second quartier, tandis qu’il faut semer « en décours », et spécialement au dernier quartier, celles comme le navet, l’oignon et la pomme de terre, dont la récolte est souterraine. Cela se comprend facilement : le soleil présidant au jour, et par conséquent à tout ce qui est au-dessus du sol, la lune présidant à la nuit et à ce qui se cache dans l’intérieur de la terre, l’un ou l’autre de ces astres ne saurait protéger la naissance et les débuts de la plante qui ne naît point sous ses auspices.