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également, un chacun emporte de son Dieu autant qu’il y a droit.

On se rappelle que Jahvé défendait sévèrement aux enfants d’Israël que son pain fut touché par la main d’un homme qui serait né ailleurs que sur la terre de Chanaan.

Fustel de Coulanges établit fort bien que les associations de plusieurs familles, connues en Grèce et dans le Latium sous les noms de phratries et curies, avaient chacune son autel et son dieu protecteur. L’acte religieux y consistait essentiellement en un repas fait en commun ; la nourriture avait été préparée sur l’autel lui-même et était par conséquent sacrée : on la mangeait en récitant quelques prières ; la divinité était présenté et recevait sa part d’aliments et de breuvages. Les aliments étaient des pains, des gâteaux de fleur de farine et quelques fruits. La religion de la phratrie comme celle de la famille ne se transmettait que par le sang. Le jeune Athénien était présenté à la phratrie par son père qui jurait qu’il était son fils. La phratrie immolait une victime et en faisait cuire la chair sur l’autel ; tous les membres étaient présents. Refusaient-ils d’admettre le nouvel arrivant, comme ils en avaient le droit s’ils doutaient de la légitimité de sa naissance, ils devaient enlever la chair de dessus l’autel. S’ils ne le faisaient pas, si, après la cuisson, ils partageaient avec le nouveau venu la chair de la victime, le jeune homme était admis et devenait irrévocablement membre de l’association. Ce qui explique ces pratiques, c’est que les anciens croyaient que toute nourriture préparée sur un autel et partagée entre plusieurs personnes établissait entre elles un lien indissoluble et une union sainte qui ne cessait qu’avec la vie.

Cette conception de la race, déterminée par la nourriture non moins que par la religion, était à la base de la civilisation qui précéda l’ère chrétienne. Elle reçut une première atteinte par la fondation de la ville internationale d’Alexandrie et devint intenable à mesure que Rome absorbait les divinités des peuples vaincus et leur donnait place en son Panthéon. L’apôtre Paul, tout à la fois juif et citoyen, fut inspiré par la nécessité évidente de son époque quand il se mit à prêcher une religion qui devait grouper et fondre en un seul organisme toutes les nations, en leur faisant manger le même Dieu. Elles ne pouvaient être, pensait-il, que d’une âme et d’un esprit, du moment qu’elles prendraient la même nourriture quintessenciée. Il ne se lasse pas de répéter : « Un seul pain qui est