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le pain

râclure de la mie une pincée de pâte, à laquelle elle donne une forme singulière, la cuit à point et enfin la jette sur les charbons ardents.

Il n’est pas dit que cette attention s’adresse seulement aux lares ; que parmi les esprits du foyer qui sont aussi honorés, il ne faut pas comprendre des péris, génies de la flamme ; qu’il ne faut pas comprendre le feu lui-même. Est-ce que les âmes des morts n’ont pas peuplé tous les éléments et tout l’espace sur la terre, au-dessus et au-dessous ? Tout singulier que nous paraisse le fait, nous apprenons, par affirmations positives et incontestables, que le génie du feu à un faible pour le pain. En mainte chaumière allemande, on tient en réserve un gâteau cuit à nouvel an, sous la forme grossièrement approchée d’un quadrupède, gueule béante, et qu’on appelle le loup. Si la cabane venait à prendre feu, on le jetterait au milieu du brasier pour obtenir qu’il ralentit ses ardeurs. Il faut expliquer que, dans la mythologie scandinave, Loki ou le feu (Loki, loh) avait engendré le loup Feurir, et que, dans l’espèce, le loup toujours affamé symbolise la flamme dévorante.

Avant que les compagnies d’assurances eussent pénétré dans le Tyrol, quand éclatait un incendie, le propriétaire des maisons menacées jetait un pain dans le brasier afin de calmer la fureur des flammes. Il jetait le pain et s’enfuyait tout aussitôt de peur que le feu ne lui courut après afin de s’en faire donner un autre. On exécutait alors une manœuvre pleine de prouesses : on tournait la maie du côté du feu et on la portait trois fois autour du bâtiment qui brûlait, comme pour dire au génie dévastateur : « Tiens-toi tranquille, rentre en toi-même et l’on t’emplira la maie. » En effet, à la moisson, une galette faite avec du blé nouveau était jetée au feu, tandis qu’on chantait :

Tiens, feu, tient !
Le tien prends,
Le mien laisse !

Cousines de Paris étaient les « bonnes âmes » qui s’employaient dans la maison, rangeant, redressant, ravaudant,