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le pain

Divers sont les motifs de cette prohibition, mais le plus important, le plus vrai, on le tait soigneusement : la défiance trop justifiée tant des sournoises divinités d’outre-tombe que des maudites sorcières qui ne demandent qu’à mésuser des reliefs. Cette raison n’étant pas de celles qu’on aime à produire, on a préféré en donner une on ne peut plus honnête et qu’on a fini par croire : pour être efficace, le pain des funérailles doit être offert tout entier et de grand cœur ; et ceux qui l’acceptent sont tenus de lui faire honneur, de montrer qu’ils n’y ont pas regret, eux non plus, et qu’ils ne mangent pas du bout des dents. Une première générosité fera ricochet de bons procédés et de bonnes fortunes.

C’est à cette croyance et aux idées qui en découlent que nous rapportons l’origine de la coutume si agréablement hospitalière chez les Moraves et la plupart des populations slaves ; on présente un pain au visiteur : « Coupe, l’ami, lui dit-on, coupe bravement, prends tout le rond et tu feras enfler les épis ! » Et, si le nouveau venu est un jeune homme, on ajoute : « Mange, mon gas, ne laisse pas une bouchée pour que ta belle rien ne te refuse ! » Et, dans le canton de Vaud, le jouvencel, dans sa cage d’osier garnie de feuillage, qui allait de porte en porte avec ses épouses de mai, était reçu à bras ouverts par le paysan : « Allons, follin, bois et mange, tant plus tu mangeras, tant plus nous aurons du soleil ! »

Insensiblement, les fêtes des morts perdirent leur caractère purement familial pour prendre un caractère collectif ; on eut des doutes si les morts dévoraient réellement la substance des mets qui leur étaient présentés. Les pauvres profitèrent de l’incertitude et on leur fit des distributions au nom du défunt qui fit abandon de droit, dont on lui tint compte en reconnaissance et en prières adressées au ciel à son intention.

Nous avons un exemple évident de la transition, dans le passage d’un de nos livres apocryphes relativement assez récent ; le père de Tobie recommande à son fils : « Dépose du pain et du vin sur la sépulture du juste ». L’auteur du roman n’explique pas s’il entendait que ces victuailles fussent consommées par le juste en personne qui, dans ce cas, n’aurait