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le pain

barbeaux, vous pouvez opérer sur des violettes qui sont aussi des yeux bleus, avec la marguerite blanche et rose que les Anglais ont appelée, avec une admirable poésie, daisy, day’s eye, l’œil du jour. Cueillis à la Saint-Jean, ramassés à la Fête-Dieu, les barbeaux étanchent aussi les blessures, arrêtent les saignements de nez. Autre remède pour les yeux malades : épongez-les avec une eau tiède dans laquelle auront trempé vingt-neuf gros épis — pas un de plus, pas un de moins — et que vous aurez reliés en gerbette.

Diables, sorciers ni garous n’oseraient vous poursuivre en un champ d’épis ; la foudre elle-même n’oserait vous y toucher ; le feu du ciel ne tombe pas sur la maison dans laquelle on a pris la précaution d’attacher des épis doubles, soit au plafond, soit au-dessus des miroirs. Inutile d’expliquer que l’épi, tête de la plante, vaut tout ce que vaut la graine, sinon davantage.

Ce qui est bon pour les hommes, non moins bon pour les enfants, ne peut être qu’excellent pour les bêtes. Le pain guérit les animaux, les maintient en santé, en vigueur et en bonne humeur. Voyez plutôt.

Au bétail qu’on mène pour la première fois de l’année au pâturage, on donne à manger les vieilles croutes de la maison, et les raclures de pâte qu’on a retirées de la maie à pétrir et de la pelle du four. Ces mêmes raclures et du grain de trois espèces différentes sont servis à la vache grosse dont on veut faciliter la parturition. À Noël et à la Saint-Sylvestre, on rassemble des échantillons de toutes les céréales cultivées dans la contrée : froment, avoine, sarrazin, orge, épeautre, seigle, millet et on en donne trois poignées à chaque bête dans l’étable et l’écurie, sans oublier la volaille dans la basse-cour. En plusieurs fermes, on préfère moudre ce farrago et le faire manger sous forme de galettes grossièrement figurées en hommes et animaux. On en distribue la majeure partie séance tenante, et on en conserve le restant en cas d’accidents ou de maladies. Ces poupées, grâce à leur forme, à leur matière, au jour en lequel elles ont été fabriquées, acquièrent une valeur fétiche de premier ordre, elles passent pour avoir sur les bêtes un effet équivalent à celui de l’hostie sur les chrétiens.