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le pain

entendons-nous dire ; il n’y aura plus de famines. Les ports les grands marchés regorgent de céréales de toute espèce et de toute provenance ; ce qui nous manque parfois, ce n’est plus le blé, mais seulement les moyens de l’acheter ; en définitive, la population la plus nombreuse, la plus pauvre, manque souvent du pain qui lui est nécessaire.

Nous apprenons par le Banquet de Trimalcion que les Romains baisaient la table sur laquelle ils venaient de manger ; car la table qui porte le pain leur était sacrée. Dans la plupart de nos fermes, pour ne pas dire dans toutes, c’est la place qu’occupe la grande table qui est considérée comme le lieu le plus honorable de la maison, à un plus haut degré encore que le lit conjugal. À la mort du chef de famille, elle doit faire place au cercueil, car c’était à la table qu’était le siège d’honneur du « Maître du Pain ».

Quant au pain lui-même, il est objet de respect dans les pays où il est relativement abondant ; objet de vénération dans ceux où l’on est exposé a en manquer. Gaspiller la nourriture que des pauvres seraient heureux de ramasser dans la rue a toujours paru aussi répréhensible que serait le vol ; et l’on a souvent mis de pair avec le meurtre le fait de détruire délibérément ce qui pourrait faire vivre un homme. L’opinion réprouve sévèrement le prodigue égoïste et stupide qui se prévaut de son droit de propriété pour anéantir ce que l’on a si justement appelé « vivre ». Les Égyptiens et les Arabes ont la même expression, ils donnent au pain le nom d’Ezsh, la vie. Les Hébreux employaient une heureuse expression : « Bâton de vie », que leur ont empruntée les peuples Chrétiens. Les Arabes possèdent aussi cette expression, l’ayant peut-être de leur propre fonds.

« Quatre choses, disent les rabbins, nous ont été transmises relativement au pain :

« Ne jamais le jeter.

« Ne pas lui faire toucher viande crue.

« Ne pas appuyer une assiette contre lui.

« Ne pas tenir au-dessus son verre plein. »

Pourquoi la seconde prescription ?

Probablement parce que la viande crue, que mangent les animaux et non les hommes, est de qualité trop inférieure pour être mise sur le même plan que le pain, la chose la plus précieuse qu’il y ait en ce monde.