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II

LA FABRICATION DU PAIN


Meunerie et Boulangerie


Derrière le cercueil du meunier, on jette une poignée de farine. Ce qui est, sans doute, un moyen de cacher au mort la vue du moulin, et, sous prétexte de compliment, lui barrer le retour.

Telle est l’unique superstition que nous ayons trouvé à noter ayant rapport à la meunerie. Encore n’est-elle pas attribuable au meunier, mais seulement à ses héritiers ou voisins. Chose curieuse ! Tandis que les superstitions abondent chez les cultivateurs et parmi ceux qui manient le pain et le blé, les meuniers semblent dépourvus de toute espèce de préjugés. Nous ne sommes pas les seuls qui l’ayons remarqué. L’industrie moderne semble être sortie du moulin, dont le nom anglais est un terme générique désignant les diverses usines et manufactures. Évidemment les minotiers ont été les premiers mécaniciens, les premiers ingénieurs, ce qui de bonne heure leur a donné l’esprit net et clair. Pendant le long et triste moyen-âge, le meunier se tenait coi. Qu’il habitât la colline visitée par les vents, ou bien la grand’fond dans laquelle chute le ruisseau, il vivait seul, dans un petit royaume à lui, avec sa meunière pour reine, et, pour premier ministre, son grison, animal judicieux et sobre. Ignorant des magiciens, nécromanciens, des alchimistes, théosophes et pourchasseurs de la pierre philosophale, et même des sorcières et devineresses, il s’inquiétait peu de ce monde ambiant d’ignorance outrecuidante et d’abracadabrante folie dans lequel on dissertait a dario et baralipton sur tout ce que l’on savait, et principalement sur ce qu’il était impossible de savoir. Quant à lui, il affectait de dire qu’ « il ne voyait pas dans sa meule plus avant qu’un autre ».