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naître les sourciers sous leurs multiples déguisements. Pilwitz travaille principalement au solstice d’été, à la fête des apôtres Saint-Pierre et Saint-Paul et pendant les vingt-quatre heures auxquelles préside Saint-Guy. Nous sommes fâchés d’avoir à constater que la réputation de ce saint va de pair avec celle de Sainte-Walpurga. L’un et l’autre sont accusés d’avoir noué des intelligences avec l’enfer, d’avoir des complaisances inexplicables pour toute sorte de vilains personnages avec lesquels ils se sont acoquinés. Circonstance remarquable : le son des cloches qui, en temps ordinaire, a la vertu de paralyser diables et sorciers aussi loin qu’il se fait entendre, double, au contraire, les énergies de Pilwitz, qui n’est jamais si remuant, si prompt à sa vilaine besogne que dans les moments pendant lesquels on appelle les fidèles à la messe et à la prière. Aussi plus d’un marguillier a été requis, à certains moments, de ne sonner de sa journée que l’indispensable.

Pilwitz nous est dépeint comme un long maigre, sec et ratatiné ; tantôt il chevauche un bouc noir, monture de ces espèces, tantôt il glisse dans les airs, jouant des pieds à la façon des vélocipédistes. Il prend un champ par le travers et, avec ses orteils allongés en faucille, il scie le blé par bandes, la cisaille par rangée. Le grain qu’il abat va se loger dans des « caches » à lui ou dans les granges des sorciers, ses compères. Car les sorciers ont avec Pilwitz les relations les plus intimes ; ils lui empruntent sa puissance et, parfois, jusqu’à sa forme, si bien que Pilwitz et sorcier sont devenus des mots synonymes. On raconte d’un vieux paysan aveugle qu’un jour il requit un de ses fils de le mener tout autour de certain champ de blé. Le jeune homme, qui se méfiait, conduisit le vieux dans une sapinaie attenante. Il ne remarqua rien de particulier, mais à son retour l’aire se trouva remplie d’aiguilles de sapin au lieu d’épis comme l’avait entendu papa.

Ces scélérats de Pilwitz sont obligés de se montrer quand, pour se défendre d’eux, on enfonce dans l’aire un coin de genévrier, bénit au dimanche des Rameaux ; bon gré mal gré, le sorcier fait alors son apparition pour vous saluer et vous demander de vos nouvelles, et qui voit-on le plus souvent ? Quelque voisin ou quelqu’un de cousinage. On a cru remarquer que cette espèce de gens avait fréquemment la tête chauve, haute et pointue. Si on appelle à voix forte et claire le « coupeur de blé » par son nom, il tombe en faiblesse, ou même raide