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contre les autres, les voilà saisis par le désastre ; ahuris, affolés, ils brûlent déjà, et sont encore endormis. On se précipite à l’ouverture qu’on avait faite étroite et basse pour la pouvoir mieux défendre, on s’y heurte, on se pousse et s’embarrasse, rôti par la flamme, ébloui par les gerbes incandescentes, suffoqué par la fumée. Les premiers franchissent la porte en rampant, et comme ils glissent encore sur le sol, ils ont les membres transpercés, la tête fracassée. Aux vieillards moins agiles, aux enfants sans vigueur, aux malheureux incapables de se défendre, on ne fait pas même l’aumône d’un coup de massue, on les rejette dans le brasier flambant. Tout est tué, tout est massacré, sauf quelques grandes filles échappées à l’incendie, épargnées par le casse-tête. Les vainqueurs, — on appelle cela des vainqueurs, — se précipitent dans l’enceinte des troupeaux qu’ils poussent devant eux pêle-mêle, avec les malheureuses qui ont les mains attachées derrière le dos. Heureux et fiers, les pillards s’annoncent de loin par des grognements de triomphe ; ils gravissent les collines, dévalent les plaines. Les captives qui trop souvent trébuchent et tombent, celles qui ont trop de peine à se relever sont dépêchées d’un dernier coup, ou laissées à expirer dans quelque marais, à pourrir dans une fondrière. Pour activer la marche, pour ranimer les efforts défaillants, ils piquent dans les épaules, dans la nuque : « Avance ou crève ! » Aux temps héroïques, les braves, les vaillants et les admirés se pourvoyaient ainsi d’épouses et de fiancées.

Fête de la victoire. Magnifique boucherie des bêtes razziées. Tapage, vacarme et vociférations, danses frénétiques, énorme bombance, glorieuse ivresse, orgie digne des Immortels. Encore fourbues de fatigue, leurs blessures fermant à peine, les filles, les femmes butinées attendent, jetées dans les coins, le dernier acte de la ripaille : tous les mâles de la horde leur passeront sur le corps. — Au préalable, le sorcier, bizarrement accoutré, l’homme aux incantations, les lavera, les fumiguera, les désenguignonnera, exorcisera les démons de la tribu native, inoculera les divinités du foyer nouveau ; il leur mettra au cou un collier de graines bénites, à la narine un bouton porte-bonheur. Le saint homme, ses acolytes l’assistant, et toute la jeune école des prophètes, de ces malheureuses filles feront des femmes, prenant tous les risques de l’opération — car ils enseignent que la femme est de nature impure et venimeuse — ils prononceront des formules sacrées, afin de garantir contre le mauvais sort les futurs époux qui attendent pour faire prouesse à leur tour.