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savons cependant que la vie est tissue d’ennuis ; qu’on n’est véritablement homme qu’à la condition d’avoir appris à souffrir ; qu’il faut être prêt à payer de sa personne pour la cause de la raison et de la justice. Ce serait donc rendre à la jeune génération un mauvais service que de la traiter, avant même qu’elle existe, comme devant être faible et incapable ; ce serait lui faire injustice que de commettre une lâcheté, dès qu’il faut agir en son nom. L’union libre étant illégitime — officiellement — il est certain qu’à un quiconque il sera loisible de donner à nos enfants les appellations de « bâtard » et « bâtarde » tant qu’il lui plaira. Le cas échéant, nous voudrions que notre fils, dominant l’injure, toujours bienveillant et tranquille, répondit avec un sourire doux et fier ; — « Libre à vous de prononcer « bâtard » le mot que mon père et ma mère prononcent : « enfant de l’amour ». N’importe ! Bâtard je suis, bâtard incontestable, puisque je ne le suis point par accident, mais parce qu’on l’a bien voulu, bâtard j’étais avant ma naissance. Des parents, les miens, ont compris que ce nom cesserait d’être un opprobe dès que d’honnêtes gens n’en auraient pas honte ; ils m’ont voulu bâtard pour en diminuer le nombre. Donc gratifiez-moi à votre aise du titre que j’ai encore l’honneur de porter, mais qui va s’éteignant. Je suis un des derniers représentants de la race, illustre, certes, autant que pas une. »

Nous sommes loin d’avoir voulu braver l’opinion publique, et ce n’est pas à la légère que nous renonçons à la considération que donne le mariage légal, et, s’il faut l’avouer, nous désapprouvons tout éclat inutile, nous redoutons la publicité malsaine. Mais hautement nous nous déclarons responsables de notre acte dans toute sa portée, et nous le défendrons volontiers auprès de qui voudra le discuter avec une sincérité égale à la nôtre. Maris, nous comptons qu’on n’aura jamais à nous confondre avec de vulgaires séducteurs, et si nous agissions comme eux, nous n’aurions pas même leurs mauvaises excuses à faire valoir. Femmes, nous espérons ne pas tromper la confiance qu’on a mise en nous. Et si nous venions à être trompées, on n’aurait pas à nous plaindre, car nous agissons de notre plein gré, en entière connaissance de cause ; nous déclarons faire résolument et de propos délibéré ce que tant de filles séduites, nos sœurs malheureuses, n’ont fait que par faiblesse, par légèreté ou par ignorance.