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Sur ce premier patron, les populations les plus diverses ont taillé l’innombrable variété de leurs rites nuptiaux, qu’elles se sont transmis, plus ou moins modifiés, jusqu’à nos jours.

Le mariage, que nous sommes accoutumés à considérer comme d’ordre individuel, absolument privé, fut communautaire à l’origine, et d’ordre collectif ; les femmes appartenaient à la bande par indivis ; tous avaient mêmes droits sur toutes, nul guerrier qui n’eut sa part du butin. La captive appartenait à ceux qui avaient brûlé son village, étouffé ses oncles, flambé ses frères, éventré sa mère. Encore si les ravisseurs n’eussent été que ses maîtres ! encore si elle n’eut été payée qu’en coups et sévices ! Mais non ! leur fureur de meurtre tournait en rage amoureuse, leur ivresse en lascivetés plus brutales et effrayantes que leur rage dans les combats. À pareils seigneurs pouvait-on répondre autrement que par la ruse et la perfidie, que par des tentatives de meurtre ou d’empoisonnement ? — Eh bien non ! L’on aima ces brigands, on en vint à chérir ces assassins, à se dévouer pour ces cannibales… — Par la bénigne influence de l’oubli ? Par l’effet de l’accoutumance qui stupéfie même les atroces douleurs, étouffe les vives sensibilités ? — Cela n’eût pas suffi.

Mais elle vint, guérissant les blessures, calmant les irritations, endormant les rancœurs, elle vint, la maternité, opératrice des merveilles, elle vint, tenant dans ses bras l’Enfant, le doux et prodigieux miracle de la Nature. À peine est-il né, l’Enfant, que toutes choses sont faites nouvelles, que toutes vieilleries sont oubliées. Que parlez-vous de remords, de crime et d’ignominie, quand il est là, innocent et suave ! Que vous souvenez-vous de ces histoires de violences et de cruautés, quand il égare dans vos cheveux sa main caressante ? Que vous chaut les malheurs passés quand il vous regarde de ses yeux doux et purs ? Le sourire de l’Enfant illumine le monde ; il n’est âme assombrie dans laquelle il ne déverse à flots la lumière, n’épanche les tranquilles profondeurs des cieux azurés. Il paraît, et le Passé, avec sa longue séquelle de regrets et de repentirs, de dépits et d’amertumes, le Passé s’évanouit, s’oublie, et l’Avenir, frais et souriant, fait son entrée avec le radieux cortège d’espérances. Et ces prodiges, comment l’Enfant les accomplit-il ? Quel est le mystère de son pouvoir ? C’est que le faible, désarmé, incapable de se défendre, impuissant à se suffire, le petit être ne vit que par votre bonté, ne subsiste que par votre faveur.