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vanité, la luxure et l’insolence ; ceux de Chine, qu’on élève pour être mangés, sont d’une stupidité sans pareille. Mais le chien vraiment aimé, élevé ans la bonté, la douceur et la noblesse des sentiments, ne réalise-t-il pas souvent l’idéal humain, ou même surhumain, du dévouement et de la grandeur morale ? Et les chats, qui ont su mieux que les chiens sauvegarder leur indépendance personnelle et l’originalité du caractère, qui sont des « alliés plutôt que des apprivoisés », n’ont-ils pas fait aussi, depuis l’époque de sauvagerie primitive dans les forêts, des progrès intellectuels et moraux qui tiennent du merveilleux ? Il n’est pas un sentiment humain qu’à l’occasion ils ne comprennent ou ne partagent, pas une idée qu’ils ne devinent, pas un désir qu’ils ne préviennent. Le poète voit en eux des magiciens ; c’est qu’en effet, ils semblent parfois plus intelligents que leurs amis les hommes, dans la prescience de l’avenir. Et telle « heureuse famille » montrée par les bateleurs dans les foires ne nous prouve-t-elle pas que rats, souris, cobayes et tant d’autres petits animaux ne demandent que d’entrer avec l’homme dans le grand accord de bonheur et de bonté ? Chaque cachot se transforme, si les gardiens n’y mettent bon ordre, en une école d’animaux inférieurs, rats et souris, mouches et puces. On connaît l’histoire de l’araignée de Pélisson : le prisonnier avait repris goût à l’existence, grâce à l’amie dont il s’était fait l’initiateur ; mais un défenseur de l’ordre survient, et, de sa botte vengeresse de la morale officielle, il écrase l’animal qui vient consoler le malheureux !

Ces faits nous prouvent les immenses ressources possédées par l’homme pour la récupération de son influence sur tout ce monde animé qu’il laissait aller au gré du destin, négligeant de l’associer à sa propre vie. Lorsque notre civilisation, férocement individualiste, divisant le monde en autant de petits États ennemis qu’il y a de propriétés privées et de ménages familiaux, aura subi sa dernière faillite et qu’il faudra bien avoir recours à l’entr’aide pour le salut commun, lorsque la recherche de l’amitié remplacera celle du bien-être qui tôt ou tard sera suffisamment assuré, lorsque les naturalistes enthousiastes nous auront révélé tout ce qu’il y a de charmant, d’aimable, d’humain et souvent de plus qu’humain dans la nature des bêtes, nous songerons à toutes ces espèces attardées sur le chemin du progrès, et nous tâcherons d’en faire non des serviteurs ou des machines, mais de véritables compagnons. L’étude des primitifs a singulièrement contribué à nous faire comprendre l’homme policé de nos jours ; la pratique des animaux nous fera pénétrer plus avant dans la science de la vie, élargira notre connaissance des choses et notre amour. Qu’il nous tarde de revoir le chevreuil de la forêt venir au devant de nous pour e faire caresser en nous regardant de ses yeux noirs, et l’oiseau se poser triomphalement sur l’épaule de la bien-aimée, se sachant beau, lui aussi, et demandant part au baiser !