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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

pour les indigents environ 323 000 hectares de terrains en plein rapport, coûtent 6 000 fr. l’hectare.

Cette même consommation a été estimée pour 1861, par le journal le Coopérateur (no 28), à deux milliards et demi de francs, soit la valeur de plus de 400 000 hectares. Dans ce chiffre sont compris la consommation de vin, la distillation illicite, le brassage qui se fait à domicile, etc.

Les sociétés de tempérance font valoir en outre que la distillation des grains détruit une quantité de substances alimentaires suffisante pour nourrir 7 500 000 personnes, soit le quart de la population de la Grande-Bretagne ; elles portent encore pour mémoire les crimes et dégâts commis par les ivrognes, les frais de justice, d’emprisonnement, etc., etc., avec lesquels on aurait pu doter tant de jeunes filles et assurer à leurs familles futures une modeste aisance. Il est certes affligeant d’entendre que, dans un pays tristement célèbre par l’intensité de son paupérisme, le budget de la bière et du tabac est douze fois plus fort que celui des pauvres. Si nous relevons cette remarque, ce n’est point pour jeter la pierre à l’Angleterre ; car il est un fait tristement notoire, c’est que nous dépensons, en tabac seulement, huit fois plus que ne coûte au pays tout le budget de l’Instruction publique. Combien avons-nous vu de nos compatriotes, qui, en allumant complaisamment leur cigare, se targuaient que nous étions la nation du monde la plus instruite. Bon an, mal an, ils dépensaient en fumée un argent qui aurait pu faire enseigner la lecture à une demi-douzaine d’enfants !


On ne peut lire les journaux du mouvement sans être frappé de la manière dont les Coopérateurs célèbrent leurs assemblées générales. Le jour auquel les actionnaires d’autrefois avaient donné le sobriquet de Boxing ou de Grumbling day[1], parce qu’ils avaient à recevoir en cette solennité les comptes de leurs gérants, est devenu pour nos sociétaires un anniversaire de fête et de triomphe dont les journaux rendent souvent compte sous le titre de Réjouissance. Les Coopérateurs se rendent à l’assemblée avec leurs femmes et leurs enfants, ils se revêtent de leurs beaux habits ; les comptes rendus de la gérance sont généralement écoutés sans trop de murmures, le chiffre du dividende est accueilli avec des Hourra ! hourra !… Des sandwichs substantiels circulent ainsi que la « coupe, qui égaye mais n’enivre pas, » circonlocution poétique fort en faveur pour désigner une tasse de thé. On se livre « aux délices de la conversation, » on applaudit bruyamment des vers tels quels. Des ventriloques, des chanteurs comiques font valoir leurs talents de société. Quatuor d’accordéon, de flûte, de cornemuse et de chalumeau. Le piano est tenu par une maîtresse de musique, engagée

  1. Traduisez : la journée des grognements et des coups de poing.