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ASSOCIATION OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

bout des mains, et ses mains au bout des poignets, avec sa miraculeuse tête sur ses épaules, — eh bien ! un homme ainsi bâti, vaudrait… vaudrait… combien, voyons ? Disons qu’il vaudrait autant que cinquante, autant que cent chevaux ! »

Certes, des gentilshommes des Carolines, des « vieux-sang » de la Virginie seraient arbitres compétents en pareille matière. L’on pourrait interroger deux chevaliers du Cycle d’or, deux planteurs de cannes. Ils se sont associés pour exploiter une fabrique de sucre, l’un apportant un capital en chaudières, cylindres et purificateurs ; l’autre, un capital en Quaggies, autrement dit en nègres. Les deux amis se partagent les bénéfices au prorata des dollars engagés, tant pour la négraille, tant pour la ferraille. Avant le coup de canon tiré contre le fort Sumter, ces industriels payaient 3 000 dollars pour un bon nègre de fabrique, et, nous disent le Delta et le Richmond Enquirer, ils espéraient bien voir le moment où ils auraient pu compter, rubis sur l’ongle, 5 000 dollars pour un beau gars d’irlandais, ou pour quelque vigoureux émigré d’Allemagne. — En présence de ces autorités, l’on doit nous accorder que la capitalisation d’un ouvrier libre, au taux de 40 actions de 500 francs, n’est en aucune façon exagérée.

Mais il nous semble entendre quelques philanthropes protester ici contre l’assimilation injurieuse que nous ferions entre l’ouvrier libre et l’esclave, entre l’homme et la machine, entre une intelligence et un billet de banque. — À merveille ! Qu’ils réclament alors pour l’ouvrier une justice plus large encore ; surtout qu’ils ne lui donnent pas moins parce qu’il mérite plus, et qu’ils ne traitent pas l’ouvrier, représentant de sa propre personne, moins bien que le représentant d’un marteau-pilon, installé dans une usine !

Ici se présente naturellement l’objection qui est le grand cheval de bataille des adversaires de l’association entre maîtres et ouvriers. En théorie, rien de plus juste, nous dit-on, que la participation de l’employé aux bénéfices sociaux ; mais, dans la réalité, il n’y a pas que des bénéfices, il y a aussi des pertes. Or, comme il est impossible de faire participer les ouvriers aux pertes, il faut, pour qu’elles puissent être payées, que le capitaliste se prémunisse contre elles en s’appropriant la totalité des profits.

— D’abord, est-il vrai que l’ouvrier ne participe pas aux pertes ? Et que signifient donc ces affreux chômages qui mettent en péril l’existence même des nations ? N’est-ce pas lui, au contraire, qui est le premier à souffrir par les accidents survenus à l’industrie, et qui en est le plus cruellement atteint par la suppression de partie ou totalité de ses salaires ? En cas de perte, le fabricant se rejette sur sa fortune personnelle, sur son crédit ou sur des économies antérieures ; tandis que les moindres fluctuations du travail attaquent l’ouvrier dans les parties vives de son corps, et dans son existence même. — Et cependant, n’est-ce pas le