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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

écriés : « Nous aussi sommes de petits maîtres ! Nous ne voulons pas partager nos bénéfices avec nos ouvriers ! Ailleurs, on ne les partage pas, pourquoi donc les partagerions-nous ?

« Et comme ces égoïstes avaient droit de vote, ils ont proposé d’exclure des bénéfices communs certains de leurs nouveaux camarades. Hier encore ils déclamaient contre les injustices sociales, aujourd’hui ils se mettent au niveau de leurs maîtres ; hier ils se vautraient dans la fange de la servitude, aujourd’hui ils veulent y écraser leurs frères. Ces ouvriers sont la honte du prolétariat ! »

En se produisant sur un marché encombré de cotonnades, le déficit de la matière première semble avoir préservé l’industrie anglaise des faillites et des banqueroutes qui seraient résultées d’une production surabondante. Par un phénomène connu en physique sous le nom d’interférence, les deux crises, en se superposant, se sont neutralisées l’une l’autre, jusqu’à un certain point, et pendant un certain temps. À quelque chose malheur est bon ; le point d’arrêt dans la production manufacturière paraît avoir débarrassé la Coopération de ses ignobles parasites. L’infortune fortifie les hommes vaillants, et surtout elle les délivre de tous les faux frères et des faux amis.

Quoi qu’il en soit, le nom révéré de Rochdale a reçu une flétrissure. Des Équitables Pionniers, ulcérés de l’insulte faite à leur œuvre, ont déclaré vouloir marcher de nouveau à la tête du mouvement ; ils n’attendent, disent-ils, que la fin de la crise pour fonder une manufacture dans laquelle les ouvriers entreront dans le partage des bénéfices. C’est là que nous les attendons avec une inquiète sollicitude. — Quelles parts feront-ils au travail et au capital ? La question est d’une importance vitale ; de la réponse dépendent l’avenir de l’Angleterre et du monde industriel et, jusqu’à un certain point, l’avenir de la société moderne.


La solution de ce redoutable problème économique n’est point facile à donner ; car il s’agit de concilier deux puissances antipathiques jusqu’ici, et de trouver une mesure commune à deux termes mobiles qui semblent se fuir incessamment, vu que la proportion entre le travail et le capital varie constamment d’une industrie à l’autre. Certaines difficultés ne sauraient être résolues, à moins de faire appel au cœur et à la conscience. La détermination du partage équitable à effectuer entre l’ouvrier et son commanditaire est une de ces questions-là.

Ce qui nous enhardit à aborder un sujet aussi délicat, c’est la conscience de notre bonne volonté, le désir de bien faire, et aussi l’espérance d’être utile, transformation intime des conditions économiques actuelles, la mise de l’instruction et des instruments de travail à la portée de tous, telle est la grande tâche dévolue au xixe siècle. À cette œuvre de rénovation sociale, il est de l’honneur et du devoir de chacun de nous